Les
caractéristiques du patrimoine paysager
Le
patrimoine paysager du bois de Boulogne est celui d’une
promenade paysagère dans un écrin forestier hérité
de la forêt du Rouvray. Cette promenade, unique par ses
dimensions, ses paysages et sa cohérence stylistique encore
visible, présente une grande diversité d’ambiances
et de paysages qui sont, pour leur grande majorité, l’héritage
des travaux menés par Alphand à la demande de Napoléon
III. Ces ambiances se décomposent comme suit :
Les
massifs forestiers du cœur du bois s’étendent
sur 312 ha, soit 37 % de la surface totale du bois.
Remaniés
et replantés à plusieurs reprises au fil des siècles,
ils conservent aujourd’hui encore l’esthétique
et l’imaginaire de la forêt du Rouvray, et un caractère
naturel prononcé. Relativement dense au sud, bien qu’encadré
par les deux hippodromes, le massif forestier est morcelé
au nord par les voies de circulation et de nombreuses concessions.
Ce massif est constitué majoritairement d’essences
forestières régionales. La chênaie est encore
une dominante du massif, avec une présence marquée
du chêne rouvre et du chêne pubescent, auxquels se
mêlent des essences spontanées à croissance
rapide comme l’érable plane, l’érable
sycomore, le frêne, le tilleul, le robinier, et des sujets
plus exotiques issus des replantations, qui participent de la
diversité floristique et paysagère du bois. D’autres
essences participent à la diversification des peuplements,
comme le châtaignier sur les secteurs acides, et le hêtre,
dont il existe quelques très beaux sujets, bien qu’il
soit en limite de ses aptitudes écologiques.
Touché par la tempête de décembre 1999, le
massif fait l’objet d’un programme exceptionnel de
dégagement des arbres tombés, de densification du
massif par régénération naturelle et/ou plantations,
à l’origine du renouvellement forcé de plus
de 120 hectares, alors qu’au cours des 70 années
précédentes, 144 hectares seulement avaient été
rajeunis. Ce programme de plantation s’est appuyé
sur le plan de gestion arboricole établi par la Ville de
Paris pour la période 2006-2020. Ce plan détaille
les objectifs d’évolution des différents massifs
attendue d’ici 2020, ainsi que les modes de gestion et moyens
pour y parvenir. La gestion appliquée à cet espace
utilise des techniques purement forestières - plantation
de plants forestiers, protections collectives, dépressages,
éclaircies -, hormis à proximité des secteurs
de forte fréquentation - bords d’allées, de
sites de manifestations… -, pour lesquels des techniques
plus horticoles ont été adaptées : plantation
de jeunes arbres, protection individuelle, tailles de formations,
arrosages. La carte de comparaison des hauteurs de végétation
2005-2015 (ci-dessous à droite) illustre parfaitement les
effets significatifs de cette gestion.
Une autre conséquence de la tempête de 1999 a été
la fermeture de 2,7 km de voies à la circulation automobile,
et leur restitution à la promenade piétonne et cyclable.
Cependant, cet espace à vocation naturelle est encore traversé
par trois voies de transit au trafic important : les allées
de Longchamp et de la Reine Marguerite, et l’avenue de l’Hippodrome.
Ces voies fragmentent le massif et sont sources de pollutions
sonores, atmosphériques et lumineuses. De plus, elles augmentent
la desserte, donc la fréquentation du cœur de massif,
notamment les week-ends. Bien que la fréquentation soit
moindre que dans les autres secteurs du bois, il est essentiel
d’établir un équilibre entre la nécessité
de renforcer la fonctionnalité écologique du massif,
et le maintien de la fréquentation actuelle qui est parfois
importante.
Les
massifs forestiers clairiérés couvrent 44 hectares,
soit 5,2 % de la surface du bois.
Ce
type de massif se caractérise par la juxtaposition de zones
boisées denses et de zones ouvertes, constituées
de pelouses rustiques plus ou moins vastes comportant des arbres
isolés ou en bouquets. Ils se concentrent majoritairement
en lisière ouest du massif forestier dense. Deux massifs
principaux sont à signaler : celui situé aux abords
de l’étang et des réservoirs alimentant la
grande cascade située au carrefour de Longchamp, et celui
de la pelouse de Madrid sur laquelle s’est implantée,
en 1864, la concession du Tir aux Pigeons.
Les essences sont majoritairement forestières et participent
de l’unité paysagère du bois. On y retrouve
des chênaies pubescentes qui forment souvent de vieux taillis
sur souche. Ces reliquats de l’ancien parc royal forment
la moitié de ce type de massifs. L’érable,
le marronnier et le platane dominent dans la plaine de Longchamp,
qui ne fut replantée en partie qu’à partir
de son annexion au bois en 1855, formant parfois des ensembles
remarquables. Le pin noir et le pin zelkova sont également
bien représentés.
La gestion de ce type de massif est forestière, mais peut
faire appel à des techniques de plantation plus horticoles
- plantation de jeunes arbres, protection individuelle, tailles
de formation, arrosages - dans les clairières et en lisières.
Si les clairières permettent d’atténuer l’impact
de la fréquentation de ces espaces naturels, certains massifs
appellent une attention particulière, notamment la pelouse
de Madrid et les emprises longeant l’hippodrome de Longchamp,
qui accueillent des activités, des centres aérés
l’été...
Les
massifs forestiers clairsemés, totalisent une surface de
36 hectares, soit 4,3 % de la surface du bois.
Ces
massifs sont les lieux de promenade privilégiés
des riverains du bois. Ils se caractérisent par la présence
d’une grande pelouse rustique régulièrement
entretenue, ou d’un espace dégagé de nature
horticole surmonté de peuplements arborés hétérogènes
mais continus où cohabitent encore quelques îlots
de l’ancien massif forestier. Ces massifs se situent principalement
à proximité de lieux très fréquentés
comme les rives en vis-à-vis de Neuilly-sur-Seine, ou sur
des emprises accueillant des activités particulières
comme les pelouses de la Muette et de Saint-Cloud. Ils constituent
une transition entre le massif forestier et les espaces arborés.
La gestion de ces espaces utilise principalement des techniques
horticoles dans les zones ouvertes - plantations de hautes tiges,
arrosages, fauchages -, complétées parfois par des
techniques forestières pour les bosquets plus denses, qui
sont souvent soumis à de fortes fréquentations.
Ces espaces font l’objet d’un certain travail paysager
débuté il y a quelques années, complété
par une densification des plantations, arbustives et arborescentes,
en veillant à redonner une unité à des espaces
associant l’horticole et le forestier. Les essences indigènes
sont privilégiées, mêlées d’essences
plus horticoles adaptées.
La fréquentation des massifs forestiers clairsemés
est relativement élevée, le public appréciant
particulièrement l’ambiance claire et dépaysante
de certains sous-bois, la vue portant plus loin qu’à
l’intérieur du massif forestier dense.
Fauche
tardive de la strate herbacée dans un massif clairsemé
©
Guillaume Bontemps - Ville de Paris
Les
espaces arborés s’étendent sur 75 hectares
soit 9 % environ de la surface du bois.
Ces
espaces sont des lieux ouverts et dégagés plantés
de pelouses rustiques, sur lesquels se développent des
arbres de grand développement, isolés ou en bouquets
peu denses, à l’exception de la bande arborée
en rive de Seine, au nord de la Pompe à Feu de Bagatelle.
Ces peuplements sont composés d’essences variées
souvent à croissance rapide - marronniers, tilleuls, érables
-, dont il existe quelques sujets remarquables par leurs dimensions,
témoins des travaux d’Alphand. Les espaces arborés
sont appréciés pour la diversité des usages
qu’ils peuvent accueillir. Ils occupent principalement la
périphérie du bois, et notamment la frange ouest,
dans l’ancienne plaine de Longchamp.
Ces espaces, partiellement replantés à partir de
1855, ont été traités en prairies arborées,
et agrémentés de pièces d’eau aux berges
naturelles. Les autres espaces constituent une étroite
bande en bordure du XVIe arrondissement, délimitée
par les tracés du Boulevard périphérique
et des anciennes fortifications, coupée du reste du massif.
La gestion horticole de ces espaces intègre le remplacement
pied à pied des arbres pour assurer un renouvellement régulier
du patrimoine, d’où la présence de classes
d’âges très variées. Les prairies font
l’objet d’un fauchage différencié afin
d’allier l’accueil du public à la vocation
écologique du bois.
La situation du bois au contact de la Seine constitue indéniablement
pour cet espace à vocation de détente et de promenade
un atout exceptionnel, même si la berge apparaît parfois
comme un espace de qualité limitée, dont il faut
poursuivre la mise en valeur.
Gestion
écologique de la ripisylve des plans d’eau
©
Apur
Les
espaces paysagers couvrent environ 73 hectares soit 8,6 % de la
surface du bois.
Ces
espaces sont conçus par Alphand pour être des espaces
de représentation plus soignés à l’intérieur
du bois. Ils sont disséminés sur l’ensemble
du bois.
Le parc de Bagatelle, construit au XVIIIe siècle, est le
plus grand avec ses 24 ha ; le jardin du Pré Catelan, créé
par Alphand, est le plus central ; et le jardin des serres d’Auteuil,
à vocation botanique, avec ses nombreuses collections végétales
à l’abri de serres monumentales, présente
un paysage singulier.
D’autres espaces paysagers sont traités en jardins
thématiques : le jardin des Poètes, le square de
la Photo Hippique, le square de la Porte de Passy… Les pièces
et jeux d’eau créés dès 1853 sont mis
en valeur par des compositions paysagères, notamment les
deux lacs, la Grande Cascade, la mare Saint-James. Ces secteurs
sont encore aujourd’hui très fréquentés
par le public. Les peuplements arborés qui les structurent
sont très mélangés, allant du registre forestier,
comme le reliquat des vieilles chênaies du parc de Bagatelle,
du jardin du Pré Catelan et des îles du lac Inférieur,
à la collection de résineux exotiques et aux espèces
rares des serres d’Auteuil. La gestion des arbres est particulièrement
soignée, leur place dans le paysage étant fondamentale.
De nombreux arbres remarquables sont répertoriés
et font l’objet de soins spécifiques. Ils sont pour
la plupart les témoins des aménagements d’Alphand.
Le remplacement ponctuel des arbres fait que toutes les classes
d’âges sont présentes, donnant une structure
assez irrégulière au patrimoine arboré.
Des aménagements d’Alphand, on retient aujourd’hui
principalement les compositions paysagères exceptionnelles
par leur dimension et leur cohérence stylistique, faites
de vastes clairières, de bosquets et de chemins sinueux
; articulées à un vaste réseau hydrographique
composé de rivières, de lacs et de cascades qui
parcourent et ponctuent l’ensemble du bois ; et des systèmes
de perspectives établies à la fois pour relier le
bois aux grands marqueurs du paysage parisien, tels que le Mont-Valérien,
pour donner de la profondeur et de l’agrément à
ses aménagements, et pour mettre en scène les bâtiments
et ouvrages construits dans le bois.
Si les compositions paysagères d’Alphand persistent,
elles sont affectées dans leur qualité par la sur-fréquentation,
qui détériore parfois les paysages ouverts, les
abords des plans d’eau, et les rives de Seine, tant du fait
du piétinement intense de ces espaces, que de la pollution
liée aux activités humaines, et de la présence
massive de véhicules stationnés le long des voies.
Ces compositions sont également fragilisées dans
leur cohérence par la densification des plantations et
le renfermement du massif boisé, dont l’effet principal
est la disparition progressive de l’axe paysager reliant
la porte de la Muette à la porte de Madrid, ainsi que la
discontinuité du grand arc paysager reliant la porte de
Boulogne à la porte de Neuilly, en passant par les lacs
Supérieur et Inférieur, et le Tir aux Pigeons. Le
troisième facteur fragilisant le patrimoine d’Alphand
est le développement des concessions qui tendent à
modifier les principes d’alternance de pleins et de vides,
de massifs et de clairières, effaçant ainsi les
perspectives pittoresques alternant une succession de plans allant
jusqu’au grand paysage : Mont Valérien, tour Eiffel,
la Défense…
Séquoia
planté en 1845 dans le parc de Bagatelle, près de
la pagode chinoise
©
Apur
Les
arbres d’alignement sont l’héritage de
Louis XIV qui, au XVIIIe siècle, fit percer des avenues
rectilignes adaptées à la chasse à courre,
larges et bordées de plantations, ce qui permit d’insérer
le parc de Boulogne dans le réseau de voies joignant Paris
à Saint-Germain-en-Laye et Versailles. À l’occasion
des travaux de transformation du bois de Boulogne, de nombreux
arbres d’alignement furent plantés le long des nouveaux
boulevards extérieurs et des deux seules voies rectilignes
conservées.
Aujourd’hui, les 4 381 arbres d’alignement sont répartis
sur un linéaire de 33 kilomètres - linéaire
d’alignement et non de voirie - avec un écartement
moyen compris entre 6 et 11 mètres, localisés principalement
en bordure des voies circulées. La diversification des
essences peut être importante, la richesse allant de 1 à
16 espèces et variétés différentes
par alignement. Les principales essences sont : les marronniers
(1 704), les platanes (764), les noisetiers de Byzance (632),
les tilleuls (525), les érables (404), les frênes
(139) et divers (213).
Les
arbres remarquables sont distingués soit pour leur
intérêt paysager, soit pour leur silhouette, soit
pour leurs dimensions exceptionnelles, soit pour leur intérêt
horticole ou pour leur rareté. Ils font l’objet d’un
suivi rigoureux, d’interventions d’entretien spécifique
: élagage, haubanage, chirurgie arboricole. Actuellement,
50 arbres remarquables sont répertoriés dans le
bois de Boulogne. Particulièrement appréciés
du public, leur fragilité potentielle fait que des périmètres
de protection peuvent être mis en place ponctuellement.
L’identification
en cours des unités et armatures paysagères est
également essentielle pour la gestion du bois. Cette
démarche a permis de définir un protocole d’étude
commun aux deux bois, en distinguant l’armature végétale
- l’alternance des boisements et clairières et les
perspectives -, le réseau hydrographique - l’eau
comme fil conducteur de promenades et source de biodiversité
- , le réseau de circulations : promenades, hiérarchie
des voies, îlots de tranquillité. Les unités
paysagères distinguent la zone forestière,
les unités paysagères non clôturées
- rives de Seine, plaine de Longchamp, lisière de Longchamp,
massif forestier, percée de Boulogne, grands lacs, clairière
de Madrid, mare Saint-James ainsi que les lisières urbaines
-, et les unités paysagères clôturées
: hippodrome d’Auteuil, Pré Catelan, et Jardin d’Acclimatation.
Une fois validés avec les services de l’État,
les plans de références et les grandes unités
paysagères devraient pouvoir être intégrés
dans tous les projets à venir afin de conforter les trois
armatures retenues et les enjeux associés : Armature
végétale : maintenir et/ou restituer l’alternance
des boisements et des clairières pour répondre au
besoin de nature mais aussi d’espace du citadin.
Réseau hydrographique : restaurer l’eau comme fil
conducteur de la promenade et valoriser ses différentes
formes et son potentiel écologique.
Réseau de circulations : conforter les bois comme lieu
de promenade et de circulation douces et réduire la place
de la voiture et les nuisances induites (bruit, pollution atmosphérique,
visuelle, dangerosité…). (source
: DEVE/SPA, mai 2019).
Le
croisement entre la préservation du patrimoine et celle
de la biodiversité invite à reconsidérer
l’héritage d’Alphand qui soulignait que pour
donner au bois l’aspect d’une forêt touffue
et pittoresque, les coupes régulières d’exploitation
sont abandonnées et que l’on se borne donc aujourd’hui
à abattre les bois morts, à faire aux tiges et aux
futaies les élagages que nécessite leur développement
; et l’on conserve avec soin les taillis, les ronces, les
épines et les arbustes qui cachent les troncs des arbres,
et forment, au printemps surtout, un fourré de verdure
et de fleurs d’un aspect charmant.
Dans ce système, les arbres placés loin des routes
ne prennent pas le développement qu’ils acquerraient
jadis […] mais il suffit, pour les promeneurs, que les arbres
rapprochés des allées soient bien tenus. (Les
Promenades de Paris, p. 40).
L’œuvre de son éminent successeur Jean-Claude-Nicolas
Forestier mériterait aussi d’être rappelée,
tant en ce qui concerne la préservation d’un sol
vivant, que l’enjeu des systèmes de parcs à
l’échelle métropolitaine. Pour le bois de
Boulogne, il contribue, en 1904, à sauver le domaine de
Bagatelle, en empêchant son lotissement, et soutenant son
rachat par la Ville. Il se charge aussi de son réaménagement,
et crée, en 1908, le concours de roses. Dès lors,
le parc est devenu un lieu de collections végétales
soutenu par la maîtrise et la générosité
d’horticulteurs et de collectionneurs de toute la région
parisienne. Avec ces jardins, c’est toute une histoire métropolitaine,
paysagère et botanique qui invite à repenser des
liens aussi bien à l’échelle du Grand Paris
que, plus localement, avec le jardin et les collections Albert
Kahn. |
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Les
lacs, Neuilly-sur-Seine, la Défense et la plaine de Longchamp
©
Christophe Jacquet - Ville de Paris |