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Pour des forêts vivantes en Île-de-France

(5) Menaces sur les forêts :
Les forêts et les sécheresses en Île-de-France
Conflits en forêt : Coupes et surfréquentation (Essonne)

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Ce projet de manifeste est un point d’étape, la base à partir de laquelle nous réfléchissons à des solutions pertinentes pour sauvegarder nos
forêts. Ce n’est pas simple, toutes les forêts d’Île-de-France ne se ressemblent pas. Elles ont des statuts et des fonctions différentes.
67 % de nos forêts sont des forêts privées, celles qui sont en zone urbaine dense ne peuvent pas être traitées comme les autres…
Cette complexité demande que l’on prête attention au contexte, que l’on identifie les menaces, que l’on analyse les conflits
d’usages. Au plus près du terrain, nos associations sont particulièrement bien placées pour le faire
et pour coélaborer les politiques publiques nécessaires. Constats et propositions.

Les forêts et les sécheresses en Île-de-France

La baisse des précipitations en France et les canicules à répétition ces dernières années touchent dangereusement les forêts hexagonales. Les forêts, comme tous les végétaux, ont besoin d’eau pour se développer, et participent activement au cycle de l’eau sur la planète. Lorsque la température de l’atmosphère monte fortement, les arbres limitent l’évapotranspiration, et leur métabolisme est arrêté à partir de 47 °C.

Paradoxalement, la planète Terre ne manque pas d’eau. L’eau couvre 72 % de sa surface, et son volume représente environ 1 400 k. Cette masse d’eau reste constante, et n’évolue pas depuis au moins 3 milliards d’années, restant comprise dans un cycle d’échange entre la surface terrestre - 509 millions k - et l’atmosphère. Toutefois, le réchauffement climatique, qui se développe lentement depuis 1850 et s’accélère depuis quelques années, modifie la répartition des échanges d’eau entre la surface terrestre et l’atmosphère. Rappelons que la vapeur d’eau représente 80 % de l’effet de serre.

 

Le cycle de l’eau dans la forêt (données ONF)

L’eau est indispensable à la vie, et impliquée dans tous les mécanismes cellulaires des arbres : métabolisme, croissance, transports des nutriments… Elle décrit un cycle annuel de l’atmosphère à la forêt, passant par les feuilles, qui en absorbe une fraction, puis glisse jusqu’au sol, où elle irrigue toute la végétation jusqu’aux racines, ce qui permet de retarder fortement son départ soit par évaporation, soit par percolation vers les sources sous la forêt. Les arbres puisent l’eau dans le sol par leur système racinaire et l’acheminent jusqu’aux feuilles d’où elle peut s’échapper via le système respiratoire qui ouvre ou ferme les pores ou stomates, c’est l’évapotranspiration. En période de végétation, près de 80 % des pluies annuelles retournent dans l’atmosphère sous forme de vapeur, par évaporation du sol, et évapotranspiration des feuilles. La transpiration d’un peuplement forestier peut s’élever en moyenne à 20 - 40 m³ par hectare et par jour. Les feuillus ont une évapotranspiration similaire à celle des résineux au cours de la saison, et parfois plus importante. La situation s’inverse dès la perte des feuilles, les résineux continuant à métaboliser plus ou moins vite en fonction de la température. En moyenne, 150 m³ d’eau sont transpirés pour 1 m³ de bois produit.
Les sols forestiers sont capables de modifier le cheminement des eaux, la partie supérieure des sols forestiers est formée de résidus organiques - feuilles, branches… - peu décomposés, mais aussi d’un très riche réseau de microchampignons. Cette couche d’humus, de champignons et de mousses possède une capacité de rétention d’eau importante. Outre cela, les racines vivantes constituent un réseau hydraulique important, tout comme les cavités qui demeurent après le pourrissement des racines, et forment un ensemble de galerie facilitant la circulation de l’eau dans le sol. Ainsi, une forêt peut ralentir et retenir jusqu’à 20 % de l’écoulement des eaux.

Les sécheresses en Île-de-France en 2023

Selon Florence Habets (CNRS), on distingue trois types de sécheresse : la sécheresse météorologique provoquée par un manque de pluie, la sécheresse agricole causée par un manque d’eau dans le sol, ce qui nuit à la végétation, la sécheresse hydrologique lorsque les lacs, cours d’eau et nappes souterraines ont des niveaux bas.

La pluviométrie

La pluviométrie annuelle moyenne francilienne depuis 1981 est de 640 mm avec un coefficient de variation de 11 %, ce qui signifie qu’elle est très stable depuis quarante ans. La région est cependant une des moins arrosées de l’Hexagone. Néanmoins, il y a des mois, principalement en été, où les précipitations sont particulièrement faibles. La région ne semble pas, pour le temps présent, avoir une pluviométrie en forte chute.

Les sécheresses agronomiques

En revanche, la multiplication des épisodes de chaleur depuis 1981 est importante avec, en moyenne, 11,2 jours/ an au-dessus de 30 °C et 49,2 jours/an entre 25 et 30 °C, les mois les plus chauds étant juillet et août (Météo France).
Même si la pluviométrie ne varie pas trop, l’évaporation de l’eau des sols augmente avec la température de l’atmosphère.
Ainsi, les cartes de Météo France indiquent une sécheresse agricole faible, mais persistante. Ces sécheresses sont appelées à se développer dans les années à venir avec la montée prévisible des températures de l’atmosphère.

Les sécheresses hydrologiques

Quant à la sécheresse hydrologique, les études du PIRENSEINE montrent que les débits d’étiage baissent, et que certaines nappes souterraines, comme celle de la Brie, ont fortement baissé. Le nombre de jours de sécheresse agricole et hydrologique a fortement augmenté depuis 1950.

Les sécheresses à venir

Les sécheresses vont s’amplifier fortement et toucher fortement agriculture et forêts. Si la courbe réelle actuellement de montée de température ne s’infléchit pas via la mise en place d’efforts très importants de tous nos pays émetteurs de gaz à effet de serre… la température moyenne de l’atmosphère sera à environ + 4 à +5 °C en 2100, soit pour la France 2 à 3 degrés de plus. Les journées à + 40 °C et plus 50 °C seront très nombreuses… Or à + 47 °C au niveau des feuilles, le fonctionnement général s’arrête totalement, les arbres risquent de mourir en masse.

Que faire ?

Le programme régional de la forêt et du bois 2019-2029 et le schéma régional de gestion sylvicole de juillet 2023 préconisent tous deux une forte augmentation des prélèvements de bois - 80 % de la croissance annuelle - pour des usages de construction, mais surtout en tant que bois-énergie. Ces documents passent sous silence que le bois est une énergie renouvelable sur un temps très long, cinquante à cent ans, ce qui la rend incompatible avec la montée des températures de la planète. Du bois pour construire et/ou pour les applications industrielles, mais pas pour le chauffage ou produire de l’électricité.
La France, selon les experts du GIEC, de l’Académie des Sciences et de France Stratégie, des rapports Secten 2022 du CITEPA et de l’Institut géographique national et de la forêt 2023, va perdre son puits de carbone forestier à très court terme. Déjà les forêts des Hauts-de-France et du Grand Est sont devenues émettrices de gaz carbonique, celles de Bourgogne-Franche-Comté, voire Auvergne-Rhône Alpes sont à la limite de le faire.
Prélever 10 % de la forêt hexagonale, soit quatre ans de production, pour y planter des champs d’arbres en monoculture, comme le propose le futur Plan national de renouvellement, est une idée qui ne prend en compte aucune des données scientifiques actuellement disponibles.
Il a été montré récemment que plus une forêt comprend d’espèces végétales différentes plus elle produit (Liang J et al 2016, Science 354). Planter des résineux, dont la croissance est plus rapide que celle des feuillus, c’est oublier que les résineux sont très sensibles à la sécheresse et aux ravageurs. 70 % des plantules implantées par la coopérative Alliance Forêt-Bois meurt de sécheresse la première année.
L’ONF expérimente depuis des années des plants d’arbres venant des pays chauds tels que le pin d’Alep, le pin laricio de Corse, le cèdre, le chêne vert de Californie…
Ce sont ces essences en mélange dans la forêt jardinée qui doivent être utilisées. Il devient urgentissime que nos élus prennent conscience de la souffrance forestière et que, pour y remédier, ils fassent appel aux personnels les plus qualifiés, tels ceux de l’ONF, qui sont des agents de l’État que ce dernier ignore royalement.


Cycle de l'eau en forêt

Indicateur de niveau d’humidité des sols sur trois mois de juin à août 2022 (Météo France)
Fond de Carte © IGN

Projection climatique : Évolution de la durée des sécheresses agronomiques en Europe (en mois/30 ans) © GIEC
 
Sylviculture intensive en forêt publique © Christian Weiss

La forêt presque naturelle © Christian Weiss
 
Michel Riottot, Président d’honneur de FNE Ile-de-France
Conflits en forêt : Coupes et surfréquentation (Essonne)

Arbres coupés © Jean-Pierre Moulin


VTT en forêt © AdobeStock
Fortes menaces sur les forêts domaniales d'ÎdF selon l'inventaire forestier de l'IGN Paris-Ouest (hors 77)

Il y a coupes et coupes : Il y a les coupes qui passent inaperçues aux yeux de non professionnels :

  • la coupe de détourage autour d’un arbre dit d’avenir pour favoriser son développement. Celle-ci permet de conserver l’accès à la lumière indispensable pour une croissance régulière, optimale.
  • la coupe d’amélioration qui permet de limiter la compétition vers la course à la lumière et celle pour l’accès à l’eau du sol. Le sylviculteur réalise une sélection d’arbres capables de devenir du bois d’œuvre utilisé pour la construction, la fabrication de meubles. Le bois coupé, lors de cette opération, est utilisable pour du bois d’industrie ou d’énergie. Il reste en place une forêt riche en biodiversité. Aujourd’hui, la sélection se fait en favorisant les essences capables de résister aux aléas climatiques. Une succession de coupes d’améliorations tous les cinq à huit ans permet de faire émerger une futaie irrégulière, dite encore jardinée, dans laquelle sont présents des arbres de tailles différentes et d’essence variées. C’est de cette manière que l’on maintient une forêt qui est un puits de carbone, car la photosynthèse permet d’absorber une quantité de CO2 supérieure à celle dégagée par la respiration de tous les êtres non chlorophylliens présents, et par la fermentation des décomposeurs présents dans le sol.

Les coupes qui sont dites rases parce qu’elles impactent le paysage. On peut distinguer :

  • les coupes définitives ou d’exploitation, par exemple pour une peupleraie parvenue à maturité ;
  • les coupes sanitaires, malheureusement de plus en plus fréquentes. Elles permettent d’éradiquer certaines maladies, et de passer à un nouvel itinéraire sylvicole ;
  • les coupes de conversion, dans le cas de futaies régulières, pour laquelle tous les arbres de même âge sont dépérissants, cette conversion, plus adaptée aux conditions actuelles, est longue ; elle s’étalera sur des dizaines d’années. Un paysage riche d’écosystèmes variées, de biodiversité réapparaîtra lentement.

Une absence de coupe pour une forêt en libre évolution, c’est favoriser une biodiversité de décomposition très intéressante, mais qui amène une absence de lumière au sol, à cause de la chute des branches et des arbres vieillissants, ainsi qu’une raréfaction, et même une absence de la régénération naturelle.

Les conflits lors de la circulation du public en forêt

Ils sont souvent liés à un manque de communications et d’informations précises. Il a été observé que certains promeneurs ignorent dans quel type de forêt se déroule leur balade. Des lacunes en informations sont à combler par des panneaux apportant des renseignements qui préciseraient les faits suivants :

  • La balade se déroule en forêt publique. Ce type de forêt a pour mission l’accueil du public, elle est aménagée pour cet accueil.
  • La balade se déroule en forêt privée parcourue par des chemins publics… La forêt privée n’a pas de mission d’accueil mais une tolérance qui permet de ramasser des fleurs, champignons, châtaignes - si le propriétaire ne s’y oppose pas - dans le respect du milieu naturel.
  • L’interdiction de circuler en VTT et véhicule à moteur à travers bois. De plus en plus d’arrêtés communaux limitent leur circulation sur les chemins.
  • Des précisions sur les travaux forestiers expliquant leur nature et l’itinéraire sylvicole prévu, pour une forêt pérenne, dans le respect d’une gestion durable.

Aujourd’hui, il y a une demande forte de communications et de concertations. Il est à remarquer que des idées erronées circulent et rendent parfois le dialogue difficile entre promeneurs, associations et le gestionnaire de la forêt. Ne perdons pas de vue qu’il s’agit d’un patrimoine forestier d’intérêt commun, que nous devons protéger des aléas climatiques qui nous menacent.

Danielle Albert, Présidente association Vivre au Val Saint-Germain
 
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Pour des forêts vivantes en Île-de-France

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................Édité par FNE Ile-de-France - Association régionale agréée Environnement - Publié avec le concours du Conseil Régional d’Île-de-France
................Directeur de publication : L. Blanchard - Dépôt légal : Décembre 2023 - Janvier 2024 -.N° Commission Paritaire : 0124 G 81563 - ISSN 2555-2546

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Le devenir des forêts franciliennes nous préoccupe tous.
Nos forêts souffrent du réchauffement climatique. Les sécheresses à répétition les fragilisent, les maladies et la surexploitation les mettent à genoux. En 2022, les forêts du Grand Est ont émis plus de carbone qu’elles n’en ont capté ! L’alerte est très sérieuse. Il fallait faire le point avec l’ensemble des acteurs et élaborer des propositions. C’est ce que nous avons fait le 8 juin 2023 lors d’un colloque à l’Académie du climat. Nous en avons publié les actes, et rédigé un projet de manifeste qui occupe le cahier central de ce numéro de Liaison.

Nous devons un grand merci à toute l’équipe, salariés et bénévoles, qui anime notre fédération FNE Ile-de-France. C’est grâce à l’investissement de chacune et de chacun que notre mouvement peut contribuer à la transition. Nous dédions à tous les touches de poésie qui émaillent ce numéro.

fne-idf.fr

 

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Le magazine des associations
de protection de l'environnement
de l'Île-de-France

Comité de rédaction :

J. Buisson, M. Colin, C. Giobellina,
M. Holvoet, P. Latka, I. Lledo,
M. Martin-Dupray, J-P. Moulin,
C. Nedelec, I. Nenner, F. Redon,
M. Riottot, H. Smit, D. Védy.