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Pour des forêts vivantes en Île-de-France

(2) La vie des forêts :
Le trésor fragile des sols forestiers
Biodiversité forestière, une richesse à préserver
Préserver les boisements anciens : le CEN Île-de-France à l'œuvre
Cartovégétation : préserver les continuités écologiques

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Ce projet de manifeste est un point d’étape, la base à partir de laquelle nous réfléchissons à des solutions pertinentes pour sauvegarder nos
forêts. Ce n’est pas simple, toutes les forêts d’Île-de-France ne se ressemblent pas. Elles ont des statuts et des fonctions différentes.
67 % de nos forêts sont des forêts privées, celles qui sont en zone urbaine dense ne peuvent pas être traitées comme les autres…
Cette complexité demande que l’on prête attention au contexte, que l’on identifie les menaces, que l’on analyse les conflits
d’usages. Au plus près du terrain, nos associations sont particulièrement bien placées pour le faire
et pour coélaborer les politiques publiques nécessaires. Constats et propositions.

Le trésor fragile des sols forestiers  

Il y a plus d’êtres vivants dans une poignée de sol forestier que d’êtres humains sur Terre. La plupart sont microscopiques, beaucoup restent inconnus. Un gramme de sol forestier contient un milliard de bactéries et cent mille champignons. Ces dizaines de milliers d’espèces et ces milliards d’êtres vivants interagissent pour produire et maintenir l’écosystème forestier. C’est cette vie foisonnante du sol qui donne à la forêt sa résistance en présence d’une perturbation. Ce sont aussi les innombrables interactions qui permettent sa résilience après une perturbation importante.
Il y a les
macro-invertébrés : les cloportes, mille-pattes, vers de terre, termites, fourmis… Ce sont les ingénieurs physiques qui structurent et brassent le sol pour maintenir sa porosité à l’air et à l’eau, la distribution spatiale des ressources en matière organique et en eau, ainsi que la dispersion des graines.
Il y a les
ingénieurs chimistes : les bactéries et champignons. Ils transforment la matière organique en éléments minéraux dans une forme qu’ils rendent assimilable par les racines des arbres, aidées des champignons dans l’immense réseau mycorhizien d’échanges.
Il y a les
ingénieurs régulateurs qui contrôlent la décomposition de la matière organique ainsi que les maladies et les parasites : les nématodes, collemboles, acariens. Ils forment des chaînes alimentaires qui contrôlent la prolifération des microorganismes du sol.
Cette fabuleuse biodiversité anime dans le sol les cycles du carbone, de l’azote, du phosphore qui conditionnent la vie de la partie aérienne, visible, des arbres. C’est l’abondance et la diversité des organismes du sol qui œuvrent aux grandes fonctions écologiques des forêts pour l’atmosphère respirable, la circulation et la filtration de l’eau, la production de sols fertiles, l’amortissement des extrêmes climatiques.
L’accélération du changement climatique est une perturbation majeure. Nous savons maintenant que les forêts anciennes, peu perturbées par l’action des hommes, résistent mieux grâce au volume et à la biodiversité de leurs sols. Au contraire, les coupes importantes, surtout des arbres les plus forts, détruisent la biodiversité du sol. Ainsi, les coupes contiguës amoindrissent les fonctions écologiques des sols forestiers, celles qui contribuent aux grands cycles de la biosphère, dont nous dépendons d’autant plus que nous les ignorons.

Il y a encore plus de vie dans le sol forestier qu’au-dessus : respect !
Jean-Claude MARCUS, Président de l’université populaire de la biosphère

Nous pouvons détruire en moins d’une journée
ce que la nature fait
en un millénaire.
Biodiversité forestière, une richesse à préserver  

Les milieux forestiers constituent un incroyable réservoir de biodiversité. Les arbres contribuent à cette biodiversité non seulement par la diversité des essences, mais surtout par les espèces qui vivent, se nourrissent, se reproduisent et dépendent d’eux pour se développer. La forêt de Fontainebleau possède par exemple plus de 6 000 espèces animales dont 5 700 insectes, quelque 1 800 plantes à fleurs, fougères, mousses et près de 3 900 champignons, lichens et algues (1), tout un univers à découvrir….
Les forêts sont aussi les habitats de prédilection des grands mammifères sauvages. Les gros arbres morts ou à cavité abritent des oiseaux, des chauves-souris, des petits carnivores et de nombreux coléoptères.
Les zones humides sont les habitats privilégiés des amphibiens, des insectes aquatiques, et d’une grande quantité d’espèces végétales spécifiques. Souvent riches en végétaux rares, les zones rocheuses sont aussi des lieux de guet pour les oiseaux et les reptiles. Zones de transition, les lisières sont des milieux très diversifiés où de nombreux prédateurs des parasites forestiers trouvent refuge.
En dehors du peuplement en lui-même, une forêt contient généralement de nombreux
milieux associés : ruisseaux, mares, clairières, zones humides, tourbières, landes sèches, lisières…
Une part importante de la biodiversité en forêt se situe dans ces milieux. Ces zones sont d'une grande importance parce qu’elles abritent aussi de nombreuses espèces protégées, et participent de manière générale au bon fonctionnement de l'écosystème forestier.
Sans intervention humaine, les milieux ouverts intra forestiers seraient rapidement recolonisés, alors que leur maintien présente également l'avantage d'offrir abri et nourriture à la faune sauvage.
La pression exercée par les grands animaux sur la régénération des peuplements forestiers est une des contraintes les plus citées par les propriétaires et les gestionnaires de forêts.
La consommation de fruits forestiers, des jeunes pousses, l'écorçage ou les frottis, ont un impact important sur la forêt qui peine alors à se renouveler. Si diminuer les populations de grands animaux paraît complexe, il s’avère alors nécessaire d’augmenter la nourriture disponible. Pour cela, l’ONF a mis en place des
zones de pâturage, qui sont des espaces ouverts intra forestiers offrant de la nourriture aux cervidés. La gestion des lisières forestières peut également remplir ce rôle de nourrissage en favorisant à la fois des espèces de milieux ouverts, des espèces forestières et des espèces spécifiques des lisières : merisiers, érables, arbustes riches en baies. Des éclaircies régulières permettent de maintenir un tapis végétal, et de favoriser le développement d’une flore herbacée. (1) Vallauri et Neyroumande, 2009
Catherine GIOBELLINA, Administratrice de FNE Île-de-France

Concernant la biodiversité forestière, sont représentées en pastilles en page de gauche : le renard mulotant, l’écureuil roux, le mulot, une biche en silhouette, le pinson des arbres, le pic épeiche, la huppe faciée, le moyen duc, le crapaud commun, le lucane cerf-volant, les abeilles sauvages, et le sylvain azuré. © Christian Weiss - © Daniel Auclair - © DR

Préserver les boisements anciens : le CEN Île-de-France à l'œuvre

Avec son programme de préservation des boisements naturels franciliens, le Conservatoire d’espaces naturels (CEN) d’Île-de-France est l’un des lauréats de l’appel à projet Aux Arbres Citoyens de France Télévision et France Nature environnement, dans la catégorie Pérenniser la libre évolution de peuplements forestiers. Entretien avec son directeur, Christophe Parisot

Les grandes lignes du projet du CEN

  • Réaliser un état des lieux de la biodiversité et de la naturalité des parcelles boisées propriétés du CEN Île-de-France
  • Acquérir de nouvelles parcelles boisées et/ou contractualiser des ORE avec des propriétaires privés en Île-de-France
  • Améliorer l’appropriation des enjeux liés aux milieux boisés par la population
 

En quoi consiste le projet préservation des boisements naturels franciliens ?

Il consiste, d’une part, à améliorer la connaissance des sites forestiers appartenant au Conservatoire, en réalisant des inventaires de la faune et de la fonge liée aux vieux bois et aux sols anciens, en recensant les chauves-souris, les oiseaux forestiers, les insectes saproxylophages, les champignons et la faune du sol, mais également en évaluant la quantité de bois mort du sol ou sur pied, le diamètre des arbres, les essences présentes… D’autre part, à identifier, à l’échelle régionale, les boisements anciens. Ces termes ne désignent pas uniquement des boisements abritant des vieux arbres. En effet la gestion des forêts peut conduire à leur disparition. Il s’agit donc d’identifier aussi les boisements déjà présents sur les cartes d’état-major du milieu du XIXe siècle, qui cartographient des boisements alors existants et constitués, et de regarder leur existence aujourd’hui, en vérifiant notamment s’il n’y a pas eu d’interruption du caractère boisé. Pour cela, nous consultons les photographies aériennes anciennes de 1949.

Pourquoi rechercher des boisements sans vieux arbres et donc avec une biodiversité qui peut être altérée ?

Parce que ces boisements ont vu leur sol peu modifié durant de longues périodes et, par conséquent, abritent une faune du sol préservée, mais également un stock de carbone important qu’il convient de ne pas relarguer. Bien évidemment, un changement trop important de l’état boisé, par exemple par la conversion en peupleraie ou en plantation résineuse, déclassera les boisements recensés.

Sur quoi va déboucher ce travail de recensement des boisements anciens ?

Une fois ce travail de repérage et ce découpage réalisés, il s’agira de contacter les propriétaires ainsi que les notaires afin, soit de pouvoir acquérir de nouvelles parcelles de forêts anciennes, soit de proposer un partenariat sous différentes formes et notamment les obligations réelles environnementales : respect des sols en place et, si possible, mise en place d’îlots de vieillissement - augmentation de l’âge d’exploitabilité - ou mieux encore, d’îlots de sénescence - l’îlot est laissé en libre évolution jusqu’à son dépérissement - au sein du boisement.
Les parcelles acquises par le Conservatoire seront vouées à la libre évolution, sauf en bordure de chemins, routes, habitations ou autres nécessitant une mise en sécurité, et ce, afin de contribuer à constituer en Île-de-France, à terme, une trame de vieux bois, et, lorsqu’ils répondent aux critères, de les rattacher au réseau Sylvae, porté par la Fédération des Conservatoires d’espaces naturels.

Propos recueillis par Jane BUISSON, Secrétaire générale de FNE Ile-de-France


© Crédit CEN IDF
 
Cartovégétation : préserver les continuités écologiques  

Dans le pays le plus bétonné d’Europe, l’Île-de-France est la région la plus urbanisée, et qui bétonne toujours le plus par rapport à sa superficie. La pression exercée par l’artificialisation des sols sur les écosystèmes est particulièrement importante, et constitue la première cause du déclin de la biodiversité. C’est pour cela que nous demandons le zéro artificialisation brute. Dans l’attente de sa mise en place, l’association développe le projet Cartovégétation.
Celui-ci donne des solutions pour un aménagement du territoire qui lutte contre l’effondrement de la biodiversité et s’adapte au changement climatique.
L’urbanisation grignote les forêts franciliennes au fil des années, d’une part, elle les découpe en une multitude d’espaces isolés et, d’autre part, elle réduit leur surface. Ce double effet, comparable à la transformation d’un continent en archipel d’îles, est très néfaste pour les habitats écologiques et les déplacements des espèces.
En effet, celles-ci utilisent habituellement plusieurs espaces lors de leur cycle, que ce soit pour leur alimentation, leur repos ou pour leur reproduction. Leurs déplacements entre les réservoirs de biodiversités, appelés corridors, sont aussi vitaux pour la dispersion des espèces : recherche de partenaire, de nouveaux territoires…
L’ensemble des réservoirs de biodiversité et des corridors qui les relient sont appelés réseaux écologiques, on parle également de trame verte pour les espaces naturels et semi-naturels terrestres.
Lorsque ces réseaux sont fragmentés, les espèces ne peuvent plus réaliser leur cycle de vie ou se disperser. L’augmentation de la fragmentation conduit donc à une baisse des effectifs des populations et de leur diversité. Les individus ont plus de mal à se reproduire, ce qui entraîne une dégénérescence génétique. En conséquence, les forêts sont de moins en moins résistantes aux
risques, et ont de plus en plus de mal à s’en remettre (résilience).
Il est donc primordial de veiller à la connectivité des espaces boisés franciliens pour maintenir la diversité, les flux d’individus et de gènes, le déplacement des populations et des individus. Ainsi FNE ÎDF, sous l’impulsion d’Environnement 92 et de Sud Environnement, développe le projet Cartovégétation. En s’appuyant sur les données écologiques de certaines espèces représentatives - Pipistrelle commune, Hérisson d’Europe, Mésange charbonnière, Myrtil… -, elle modélise très précisément les réseaux écologiques par types d’espèces, par exemple les petits mammifères à faible capacité de dispersion.
Ces données permettent d’identifier aussi les zones à forts enjeux : les espaces existants qui sont les plus importants et qu’il faut protéger, ainsi que les espaces à restaurer pour améliorer la connectivité des espaces. Des diagnostics plus précis intégrant d’autres données - présence d’espèces, protections environnementales et urbanistiques, zones à construire… - sont aussi réalisés pour compléter l’analyse. Ces cartes sont un nouveau support pour orienter l’aménagement et construire les territoires de demain.

Les résultats sont librement accessibles sur la plateforme Cartovégétation.

 

Depuis 1988, le Conservatoire d’espaces naturels d’Île-de-France préserve les espaces naturels franciliens à travers des actions de protection, gestion, connaissance, valorisation et accompagnement.

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Pour des forêts vivantes en Île-de-France

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................Édité par FNE Ile-de-France - Association régionale agréée Environnement - Publié avec le concours du Conseil Régional d’Île-de-France
................Directeur de publication : L. Blanchard - Dépôt légal : Décembre 2023 - Janvier 2024 -.N° Commission Paritaire : 0124 G 81563 - ISSN 2555-2546

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Le devenir des forêts franciliennes nous préoccupe tous.
Nos forêts souffrent du réchauffement climatique. Les sécheresses à répétition les fragilisent, les maladies et la surexploitation les mettent à genoux. En 2022, les forêts du Grand Est ont émis plus de carbone qu’elles n’en ont capté ! L’alerte est très sérieuse. Il fallait faire le point avec l’ensemble des acteurs et élaborer des propositions. C’est ce que nous avons fait le 8 juin 2023 lors d’un colloque à l’Académie du climat. Nous en avons publié les actes, et rédigé un projet de manifeste qui occupe le cahier central de ce numéro de Liaison.

Nous devons un grand merci à toute l’équipe, salariés et bénévoles, qui anime notre fédération FNE Ile-de-France. C’est grâce à l’investissement de chacune et de chacun que notre mouvement peut contribuer à la transition. Nous dédions à tous les touches de poésie qui émaillent ce numéro.

fne-idf.fr

 

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Le magazine des associations
de protection de l'environnement
de l'Île-de-France

Comité de rédaction :

J. Buisson, M. Colin, C. Giobellina,
M. Holvoet, P. Latka, I. Lledo,
M. Martin-Dupray, J-P. Moulin,
C. Nedelec, I. Nenner, F. Redon,
M. Riottot, H. Smit, D. Védy.