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La continuité écologique longitudinale de la Seine
pour les poissons migrateurs

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Une migration coûteuse en énergie pour les poissons
Des ouvrages de navigation difficiles à franchir
Des fronts de colonisation qui progressent
Une température de l’eau qui va devenir problématique
Des pistes pour améliorer l’efficacité du parcours migratoire des poissons

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La continuité écologique consiste à permettre la libre circulation des organismes aquatiques dans les cours d’eau, l’accès aux habitats
pour qu’ils réalisent leur cycle de vie et le bon transit des sédiments. Améliorer et restaurer cette continuité est un enjeu majeur pour préserver
la biodiversité et accompagner la recolonisation progressive des bassins versants par les espèces historiquement présentes. Quelle est la continuité écologique actuelle de la Seine ? Comment les poissons migrateurs se déplacent-ils ? C’est grâce à la mise en oeuvre de divers dispositifs de suivi que les scientifiques ont pu mieux connaître les comportements migratoires des poissons présents en Seine et
fournir des arguments scientifiques pour accompagner l’amélioration de cette circulation.

Une migration coûteuse en énergie pour les poissons  

Pour les poissons migrateurs qui remontent les cours d’eau pour aller se reproduire, le coût énergétique d’un tel voyage est important. Il dépend de plusieurs facteurs qui peuvent augmenter ou diminuer la dépense d’énergie pour le poisson. Ainsi, profiter de la marée montante pour franchir les estuaires limite les dépenses d’énergie. La présence de végétation sur les berges, d’embâcle ou d’une arrivée d’eau fraîche est également positive, en fournissant une protection face aux prédateurs, des zones de repos ou des refuges thermiques. À l’inverse, un courant fort ou la présence d’ouvrages pour la navigation - barrages - engendrent d’importantes dépenses d’énergie liées à la nage ou au blocage des individus lors du trajet migratoire.

À ces barrières physiques, plus ou moins perméables, il faut ajouter des barrières dites physicochimiques ou chimiques. La présence de contaminants chimiques, une trop faible oxygénation ou une température trop élevée diminuent la capacité de nage et de franchissement des obstacles pour les poissons, pouvant aller jusqu’à un échec de la migration ou même à leur mort nous explique Céline Le Pichon, spécialiste des poissons à l’INRAE.

Facteurs qui influencent la migration des poissons

Les obstacles, l’artificialisation des berges et la pollution des eaux sont ainsi les principaux facteurs qui expliquent la baisse des effectifs d’espèces migratrices engagée dès le milieu du XIXe, allant jusqu’à leur quasi-disparition dans les années 1960 à 1970. Dès le début du XXe siècle, divers acteurs se mobilisent pour restaurer la libre circulation des poissons migrateurs.

Cette question n’est donc pas nouvelle en Seine, et elle s’est renforcée grâce à une volonté croissante de la société de préserver la Nature. Les associations de protection des poissons migrateurs, en coordination avec l’État et les scientifiques, mettent en place progressivement de telles mesures et, depuis les années 2000, on observe une phase de recolonisation par les poissons migrateurs sur la Seine et ses affluents. C’est l’amélioration globale de la qualité de l’eau depuis les années 1990 et la mise en place d’ouvrages de franchissement des barrages, telles les passes à poissons qui expliquent le retour de quelques grands migrateurs comme le saumon atlantique, la lamproie marine ou la grande alose.

Cependant, les diverses représentations du cours d’eau et les compréhensions variables des enjeux de la continuité écologique par les usagers, continuent d’être source d’opposition et de conflits d’usages lorsque des projets de restauration émergent.

Barrage de Martot (confluence Eure/Seine) effacé en 2017

 

Des ouvrages de navigation difficiles à franchir

 

Pour étudier le déplacement des poissons, les scientifiques ont équipé plusieurs individus d’émetteurs acoustiques. Leurs passages au droit de bouées réceptrices placées en Seine entre Poses et Suresnes ont ainsi pu être détectés. Ceci nous éclaire sur le déplacement des poissons et le franchissement des ouvrages. Les résultats indiquent que ces derniers sont difficiles à franchir, la majorité des poissons marqués ne passant pas le premier ouvrage qui se présente à eux. Les aloses qui arrivent jusqu’à Suresnes et remontent aussi vers l’Oise, utilisent en partie les écluses pour remonter la Seine. Pour l’alose et la lamproie marine, les barrages équipés de passes à poissons sont toujours des sources de retard à la migration, voire de blocage et de renoncement au franchissement. À noter que les espèces résidentes, comme le barbeau fluviatile, ne le sont pas tant que ça, avec une grande mobilité observée entre Poses et Port-Mort.
Le décompte des poissons migrateurs au niveau des chambres de vidéo-comptage qui équipent les passes à poissons placées au niveau de barrage de Poses permet de compléter cette vision. Avec un recul de quelques années, on observe quelques dizaines de saumons, quelques centaines à quelques milliers de lamproies et d’aloses annuellement. Ces chiffres restent faibles et bien en-deçà du potentiel du fleuve. Le comportement migratoire est propre à chaque espèce, avec des passages principalement guidés par les heures de la journée, la marée et les conditions hydro-climatiques saisonnières nous explique Sébastien Grall, en charge du suivi des poissons migrateurs à Seine-Normandie Migrateurs.

Observation des passages des poissons migrateurs à Poses © GIP Seine-Aval 2024 - Seineomigr

Des fronts de colonisation qui progressent  

Ces dernières années, des actions de restauration de la continuité écologique ont été menées par les acteurs de la gestion des milieux aquatiques, notamment sur l’Eure - arasement du barrage de Martot en 2017 -, la Risle - aménagement de l’ouvrage de la Madeleine en 2022 - ou la Seine : seconde passe à poissons à Poses en 2018. En conséquence, les linéaires accessibles aux migrateurs augmentent : le front de colonisation est par exemple de 13 km sur l’Andelle, et de 38 km sur l’Eure pour la lamproie marine en 2020. L’accessibilité aux frayères a également été modélisée sur quelques affluents de la Seine, pour la situation actuelle, et en appliquant des scénarios d’effacement ou d’aménagement d’ouvrages. C’est l’Andelle qui présente les meilleures conditions actuelles d’accès aux frayères pour la truite de mer et la lamproie marine, avec des gains importants en cas de restauration de la continuité écologique. Des gains sont également attendus pour l’Austreberthe ou l’Eure, en cas d’effacement des seuils plus ou moins proches de la confluence, qui rendent aujourd’hui les frayères quasi inaccessibles pour ces affluents. En amont de Poses, la difficulté d’accessibilité des frayères est liée aux conditions de débit, d’oxygénation et de température défavorables, modulée par la période de migration de chaque espèce. Ces quelques observations démontrent l’intérêt de travailler à la fois sur la poursuite de l’amélioration de la qualité de l’eau du fleuve et des affluents, sur la fonctionnalité des passes à poissons existantes, mais aussi sur l’effacement d’ouvrages ou leur équipement pour le franchissement, afin d’augmenter les surfaces de frayères accessibles nous résume Céline Le Pichon.


Équipement des barrages du bassin de la Seine en ouvrages de franchissement piscicole et
vidéo-comptage © Seineomigr 2024

Une température de l’eau qui va devenir problématique  
La modélisation des parcours migratoires prenant en compte les différentes contraintes comme la vitesse de courant, la présence d’ouvrages transversaux, la température ou l’oxygénation permet d’évaluer le poids de ces facteurs dans le succès de la migration. Les résultats montrent que la difficulté à traverser l’estuaire varie selon les espèces et leur période de migration. Alors que l’alose, la lamproie - au printemps - et la truite de mer - en automne - utilisent le flot pour réduire les distances, la remontée de l’estuaire est plus difficile pour la truite de
mer - en été - du fait de la contrainte de la température : > 20°C. Sur la partie fluviale, la présence de contraintes fortes sur le fleuve - ouvrages, température, oxygène - peut multiplier jusqu’à 10 la difficulté de migration ! Avec le changement climatique et l’élévation de la température de la Seine, on peut s’attendre à une réduction du nombre de jours favorables à la migration des espèces les plus sensibles à la température, notamment les salmonidés comme la truite de mer ou le saumon, qui auront de plus en plus de mal à se reproduire dans le bassin de la Seine.
Des pistes pour améliorer l’efficacité du parcours migratoire des poissons  

La complémentarité des approches mises en œuvre pour étudier la continuité écologique piscicole de la Seine a permis de réaliser un état des lieux des enjeux actuels et à venir. Les résultats du projet CONSACRE ont renforcé l’intérêt des mesures déjà engagées pour améliorer l’efficacité du parcours migratoire et favoriser la reproduction des poissons migrateurs :

  • Gestion du franchissement des ouvrages de navigation : maintenir le bon fonctionnement des ouvrages par un entretien adapté, faire évoluer les règles de gestion pendant les périodes migratoires, favoriser diverses voies de passage et leur complémentarité ;
  • Connaissances des lieux de reproduction : favoriser la préservation et la restauration d’habitats favorables en aval des ouvrages ou sur des affluents accessibles, caractériser les zones colonisées par des individus matures pour identifier les frayères potentielles ;
  • Qualité des eaux : prévenir les pollutions accidentelles ; développer des refuges thermiques - e.g. ombrage - et des zones de réoxygénation ;
  • Liens entre usagers de la rivière et cette dernière : accompagner les opérations de restauration par une médiation dédiée aux usagers, rendre visible et accessible la vie aquatique par des supports pédagogiques.

Au-delà du travail scientifique, les démarches menées sur la continuité écologique ont contribué au dialogue et au partage d’une vision commune des différents acteurs concernés. Elles devraient permettre d’optimiser l’existant et d’améliorer la continuité écologique de la Seine et de ses affluents.

Conditions de migration pour la truite de mer selon différents scénarios
de température et d’oxygénation de l’eau © Flipo et al., 2024 - Projet CONSACRE

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La continuité écologique longitudinale de la Seine pour les poissons migrateurs

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Le projet CONSACRE a eu pour ambition l’analyse de la continuité écologique piscicole de l’ensemble de l’axe Seine, afin de dégager des pistes d’actions, qui permettraient de renforcer ces signes d’amélioration. Ces pistes concernent d’une part les possibilités d’aménagements pour la préservation et la restauration des milieux naturels, et d’autre part l’amélioration de l’association des différents publics impliqués dans cette problématique.

 

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CONSACRE

Portage : GIP Seine-Aval - Période : 2018-2021
Coordination scientifique : Céline Le Pichon, IRSTEA
Financement : AESN, Région Normandie, Région Île-de-France
Labellisation : Zone Atelier Seine, CPIER Vallée de Seine

 

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CONtinuite écologique de la Seine et interêt des ACteurs pour sa REstauration

Les objectifs étaient :

  • Étudier la continuité écologique piscicole actuelle de l’axe Seine : grands migrateurs, espèces trames bleues.
  • Mettre en perspective l’état actuel de cette continuité au regard des situations historiques et des effets possibles du changement climatique.
  • Aider à prioriser des pistes de gestion : qualité hydro-morphologique et physico-chimique des milieux aquatiques.
  • Proposer des recommandations en terme de communication - messages et outils - sur les enjeux auprès de différents publics.
   
 
En parallèle des travaux scientifiques et techniques,
des opérations de communication vers différentes cibles
- institutionnels, grand public - ont été menées.

seine-aval.fr