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Ouvrage Les bois de Boulogne et de Vincennes :
1840 hectares de nature à revisiter

Le bois de Vincennes :
(1-2) Paysage et environnement

Valorisation et extension de la trame d’eau
Le cycle de l’eau aujourd’hui


Les bois de Boulogne et de Vincennes sont deux espaces de respiration uniques, situés au coeur du Grand Paris. Représentant à eux deux près du quart de la surface du Paris urbanisé, les deux bois occupent un espace équivalent aux huit premiers arrondissements. Ils sont fréquentés par des habitués mais sont encore méconnus par beaucoup d’habitants. Une grande diversité d’usages existe : pour certains, ils représentent des axes de circulation rapide, pour d’autres le plaisir du footing dans les allées, de la promenade et pique-nique sous les arbres, du canotage sur les plans d’eau… Les Charte du bois de Vincennes et de Boulogne, signées en 2003, ont constitué un cadre précieux, en définissant quatre axes majeurs pour structurer un projet ambitieux d’aménagement durable des bois : réhabiliter les paysages et restaurer les milieux naturels ; réduire fortement la circulation automobile pour une promenade tranquille ; reconquérir l’espace public des bois et gérer les activités dans la cohérence et la transparence ; et enfin innover dans les modes de gestion et de gouvernance.

Valorisation et extension de la trame d’eau

La valorisation de la ressource en eau dans les bois constitue un enjeu majeur, qui prend des formes diverses : patrimoniale, paysagère, environnementale, écologique, d’usages. L’investissement esthétique et technique, comme la diversité des usages liés à la présence de l’eau, témoignent de son importance pour les concepteurs et les gestionnaires des bois.

Source : Les Promenades de Paris, Adolphe Alphand, 1867-1873
© doc. Apur

Au XIXe siècle, l’eau est avant tout synonyme de plaisir. Elle est le fil conducteur du promeneur guidé vers les séquences et points de vue les plus pittoresques du bois y portant partout le mouvement et la fraîcheur (Les Promenades de Paris, Alphand). Le traitement des berges, des biefs, ponceaux et cascades participent de la cohérence paysagère d’ensemble. Les activités liées à l’eau contribuent à l’attractivité, les pratiques des uns sont le spectacle des autres : embarcadères et canotage sur les grands lacs, pêche, patinage en hiver. L’eau contribue aussi au décor et au succès des chalets et des restaurants implantés sur des îles, près d’un petit plan d’eau ou d’une cascade. Le bois de Vincennes disposait même d’une pisciculture - créé en 1862 -, qui fournissait 12 000 à 15 000 sujets par an : 10 000 truites, 4 000 saumons, 1 000 ombres chevaliers. Enfin, l’eau est nécessaire à l’entretien des routes ainsi qu’à l’arrosage des pelouses et des massifs plantés.
Les aménagements du bois de Vincennes témoignent de la maîtrise de la topographie. Depuis le point le plus haut, le lac de Gravelle, l’eau du réseau s’écoule de façon gravitaire en pente douce et par des surverses agrémentées de cascades. Mais les projets restent limités par les servitudes militaires et les conditions pédologiques - sol sablonneux - et topographiques : un plateau. Les points bas se situent côté Paris, et tous les rejets se font en égout.
Quand bien même l’eau ne représente que 24 ha dans le bois de Vincennes, les plans d’eau visibles sont très plébiscités par les promeneurs comme en témoigne l’enquête effectuée : 55 % des visiteurs indiquent se rendre au bord de l’eau.

L’eau dans le bois de Vincennes

Le cycle de l’eau aujourd’hui

Si l’alimentation des lacs et des rivières et une partie de l’arrosage se fait toujours à partir du réseau d’eau non potable (ENP) de la Ville de Paris, les modes d’alimentation et l’ossature du réseau enterré ont évolué depuis le XIXe siècle. Des modifications de la trame d’eau de surface sont aussi intervenues. L’eau potable alimente certains plans d’eau et elle est parfois utilisée pour l’arrosage des pelouses, des parcs et jardins, ou des équipements sportifs.

L’alimentation de la trame d’eau

L’eau non potable est délivrée à plusieurs points d’entrée par Eau de Paris, mais le réseau d’ENP reste géré dans les bois par la DEVE. Pour conserver un écoulement correct et une eau de qualité, la trame d’eau requiert un entretien régulier par la DEVE, comme la réfection de l’étanchéité et le curage des rivières et des plans d’eau, indispensable pour assurer un bon écoulement et la qualité de l’eau. Mais le curage des lacs, plus coûteux, est parfois différé. Des analyses de qualité de l’eau sont effectuées chaque année sur les lacs.
La trame d’eau de surface consomme plus de 90 % des volumes d’eau non potable entrant dans les bois. L’apport d’eau pluviale, direct ou par ruissellement, est marginal. Les importantes fluctuations, observées d’un jour ou d’une saison à l’autre, s’expliquent par les principales utilisations de l’ENP : Maîtrise des niveaux des plans d’eau et des rivières, arrosage selon les besoins. Globalement, les apports sont augmentés en périodes sèches et chaudes et réduits en périodes pluvieuses ou hivernales.
Le bois de Vincennes est alimenté en eau non potable par deux arrivées d’eau, une canalisation principale porte de Vincennes et une canalisation secondaire porte Dorée. Les 22 kilomètres du réseau enterré encore en service alimentent les lacs, les rivières et les 189 bouches d’arrosage (2,5 bars). Ce réseau, en arête de poisson, est plus vulnérable que celui du bois de Boulogne, maillé. L’état du réseau reste à améliorer pour garantir un service fiable sur l’ensemble du bois.
Dans la perspective d’une optimisation du réseau d’ENP, la capacité maximale théorique d’alimentation reste à préciser et à garantir.
Dans le bois de Vincennes, des séquences entières de rivières ont disparu : rivières de l’hippodrome et des Minimes.
Cette disparition s’accompagne de celle de liaisons importantes entre les espaces du bois, en particulier les deux massifs forestiers.
La trame d’eau de surface se compose de 9,5 km de rivières reliant les 4 principales pièces d’eau d’une superficie de 21 ha avec une dénivelée de 15 mètres.
Deux ensembles hydrographiques, formant jadis une même grande boucle, sont aujourd’hui indépendants, l’un, depuis le lac de Gravelle (1,25 ha), alimente, par des rivières, les lacs de Saint-Mandé (1,5 ha) et Daumesnil (12 ha) ; l’autre, depuis le lac des Minimes (6 ha), est alimenté depuis le carrefour de Beauté - rivière de Joinville - et la mare de la Ménagerie : rivière de Nogent. Toutes ces eaux se rejettent dans des collecteurs unitaires.
Plusieurs plans d’eau sont aussi alimentés en eau potable (AEP), comme les bassins de l’École Du Breuil - avec un système de recyclage -, ou par des eaux de plusieurs origines : les bassins du zoo sont alimentés en AEP et ENP, par forage dans la nappe, la mare ornithologique récupère les eaux pluviales et dispose d’un apport d’ENP.

Cascade
© Apur

L’arrosage

L’arrosage constitue la principale autre utilisation de l’ENP. Il demeure nécessaire dans les espaces jardinés d’accès libre et pour les jeunes arbres, de secteurs forestiers ou d’alignement. Dans les autres emprises, l’arrosage reste en service dans les concessions et certains équipements sportifs. La certification ISO 14001 vise à favoriser l’usage de l’ENP par rapport à l’AEP. L’utilisation de l’ENP devrait donc être privilégiée lorsqu’une eau de qualité potable n’est pas nécessaire, en évaluant l’impact sur les consommations et les coûts. Cela concerne les espaces naturels, les concessions et les nouveaux projets où elle est fréquente mais pas systématique.
Dans le bois de Vincennes, l’arrosage est parfois réalisé en eau potable. Mais plusieurs basculements de l’AEP à l’ENP ont été expérimentés et réalisés avec succès. Les pelouses nord du lac Daumesnil, depuis 2011, et le square Carnot, depuis 2012, disposent d’un arrosage automatique à l’ENP, sans filtration ni surpresseur. La consommation en eau potable du square était de 2 000
/an. Le coût du raccordement a été inférieur à 10 000 €. L’hippodrome de Vincennes, équipé de pompes et d’un compteur en 2011, puise dans le lac de Gravelle pour l’arrosage. Un bassin collecte aussi les eaux pluviales.

Le square Carnot a été un terrain d’expérience pour le Parc Floral qui restait alimenté en eau potable. Depuis 2017, les eaux de surface et le système d’arrosage sont desservis en ENP, et un nouveau réseau d’AEP a été réalisé pour les bâtiments et les bouches incendie.
L’usage de l’ENP pourrait être étendu à la pelouse de Reuilly et à l’École Du Breuil.

La rivière de Nogent après sa remise en eau
© Apur

La mise en valeur de la trame d’eau récente et à venir

Parmi les réalisations récentes engagées par les divisions des bois, plusieurs actions ont ciblé l’amélioration paysagère et environnementale des lacs, rivières et cascades. Elles visent à concilier différents enjeux propres aux deux bois, quitte à en privilégier certains localement : paysagers et culturels, écologiques et environnementaux, d’usages et de fréquentation.
La diminution de la fragmentation de la trame d’eau - axes de circulation, certaines concessions -, la renaturation et la végétalisation des milieux sont des objectifs majeurs.
La connaissance et la gestion de cette trame bleue font des bois des réservoirs de biodiversité reconnus dans le Schéma Régional de Cohérence Écologique et dans le plan biodiversité de la Ville de Paris. Les milieux humides et aquatiques qui abritent une biodiversité spécifique ont fait l’objet d’une attention particulière.
La flore - hydrophytes, hélophytes, ripisylve - et la faune - mollusques, amphibiens, insectes, oiseaux et mammifères - de ces milieux ont en commun une dépendance plus ou moins forte à l’eau. Les fonds et berges bétonnées de la trame d’eau ont ainsi fait l’objet d’expérimentations visant à enrichir et à diversifier la qualité des milieux et des paysages tout en assurant leur étanchéité : argile, liner.
Une limitation de la surpopulation faunistique a aussi été engagée. Elle concerne des oiseaux aquatiques - bernaches du Canada… -, qui ont une pression très importante sur la végétation, le sur-empoissonnement, voire l’introduction d’espèces étrangères - écrevisse de Louisiane, tortue de Floride, qui déséquilibrent certains écosystèmes.

Une surverse sur la rivière de Saint-Mandé
© Apur

La vigilance en matière de qualité des eaux est aussi essentielle. Les milieux humides et aquatiques, points bas dans les paysages, sont susceptibles d’accumuler des polluants de l’air, de l’eau, voire du sol, particulièrement dans les secteurs les plus exposés, proches des voies circulées. La capacité de phyto remédiation des berges plantées peut jouer un rôle important. Enfin, les curages réguliers, lors des périodes qui dérangent le moins la biodiversité - d'octobre à novembre -, permettent d’éliminer les dépôts qui ont pu s’accumuler, et de retrouver une profondeur d’eau.
Dans le bois de Vincennes, une nouvelle rivière a été créée en 2019, du lac des Minimes aux abords de l’esplanade Saint-Louis. Une autre rivière relie l’Arboretum à l’étang de Gravelle depuis 2015. Une séquence de la rivière de Nogent a été rénovée en 2012, et l’année précédente la Mare de la Ménagerie a été réhabilitée. 13 nouvelles mares ont été créées. La remise en eau de la mare Bayard - centre équestre - est elle aussi réalisée.
La remise en eau d’une des cascades du lac des Minimes et de celle du lac de Saint-Mandé a été effectuée sans incidence sur la consommation d’ENP, à la différence de l’augmentation du débit de la cascade de Daumesnil (+100
/h). Des plantations sont également prévues en tête du lac des Minimes, pour améliorer la qualité de l’eau.


L’embarcadère sur le lac de Charenton

Le restaurant dans l’île de Bercy © doc. Apur
 
 



Curage d’une rivière © Apur
 

Étendre la trame d’eau

La valorisation de la trame d’eau peut être l’occasion de mieux guider les promenades, de remettre en valeur des points de vue et des éléments singuliers, comme les cascades, voire de créer de nouvelles scènes et séquences.
L’aménagement des rives permet aussi de gérer des distances entre le chemin et le bord de l’eau, en conciliant l’accès à l’eau, la qualité des paysages et la sécurité. S’il n’est pas toujours possible de restituer les tracés disparus, ceux-ci peuvent inspirer un plan d’extension visant à mieux fédérer les espaces, à améliorer les continuités écologiques, et à répartir la fréquentation, en invitant le public à découvrir de nouveaux lieux.

Exemples d'installations dans le bois et ailleurs (ci-contre et ci-dessous)

Roue à eau et aqueduc du collectif Aman Iwan (Feda Wardak, arch.) - Saint-Denis
© Collectif Aman Iwan

Au sud-est du bois de Vincennes, un nouveau cheminement pourrait renforcer les liens entre les massifs forestiers.
Une rivière pourrait relier le lac des Minimes au lac de Gravelle en rejoignant l’Arboretum (sur 1,2 km). Comme pour la rivière nord, il y a la possibilité de repenser un tracé ancien. De nouvelles mares pourraient compléter ces créations.
Plus localement, la grande prairie du JAT pourrait davantage associer la présence de l’eau au caractère du lieu : système d’irrigation de nouveaux jardins pédagogiques.

Jeux d’eau à Singapour
© Nadezda Murmakova — Shutterstock.com

Penser de nouveaux usages

Des pistes d’évolution sont à étudier pour développer de nouveaux usages - jeux d’eau, bain, patinoire, activités nautiques - sans compromettre l’environnement.
La réhabilitation et l’extension de la trame d’eau sont étroitement liées à une réflexion sur les nouveaux usages qui pourraient y être associés.

Des jeux d’eau, ludiques et pédagogiques, pourraient être l’équivalent aquatique du jardin des dunes et des vents du parc de La Villette, et enrichir une offre souvent standardisée.
Lieux de créations artificielles et sources d’inspirations artistiques, les bois pourraient s’inscrire dans une perspective contemporaine en mettant en scène, au fil des saisons, les différentes formes de l’eau : glace, cascades, brume… Des artistes contemporains travaillent dans cette voie : Olafur Eliasson, Isabelle Daëron ou le collectif Aman Iwan. Ces mises en scène pourraient aussi répondre et sensibiliser à des enjeux environnementaux : cascades ou jets d’eau améliorant l’oxygénation. Le caractère éphémère de ces installations, en changeant le regard sur certains sites, comme la pelouse de Reuilly, pourrait aider à expérimenter la capacité des lieux à être transformés.
En complément des sites de baignade identifiés dans la Seine et la Marne, dans la perspective des JOP 2024, des activités estivales liées à l’eau mériteraient d’être développées afin de mieux répartir la fréquentation, et d’ouvrir davantage certaines emprises au public.

Brumisateurs du Parc Floral
© Apur - JC Bonijol

Des sites de baignade sont envisagés sur la Marne à proximité du bois : l’un sur l’ancienne baignade municipale de Saint-Maurice, l’autre sur la promenade Yvette Horner/Île de Beauté à Nogent-sur-Marne.
À l’intérieur du bois, l’aire de jeux du Parc Floral pourrait faire l’objet d’une nouvelle programmation, et son entrée retrouver ses anciens brumisateurs. Des bains temporaires pourraient être imaginés dans les plaines de sport du bois de Vincennes, qui disposent de vestiaires, ou dans l’hippodrome, qui bénéficie d’accès contrôlés et d’un bon niveau d’équipements.

 
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Ouvrage Les bois de Boulogne et de Vincennes : 1840 hectares de nature à revisiter

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Atelier parisien d’urbanisme

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Les deux bois restent encore des espaces fragmentés, à la fois par les infrastructures routières et par les concessions qui les morcellent. L’enjeu est d’atteindre un juste équilibre entre les différents usages, les activités économiques, la préservation et la valorisation du patrimoine paysager et bâti et le développement de la biodiversité.
L'ouvrage présente, 17 ans après les Chartes des bois, un diagnostic mettant en avant, dans une vision holistique, les actions réalisées, et esquisse des pistes d’évolutions. Aujourd’hui, à la fois l’urgence climatique, les nouvelles attentes des citadins, et l’exigence patrimoniale, nous invitent à engager une nouvelle étape de développement des deux bois. Ce diagnostic prospectif peut constituer un socle commun pour nourrir les échanges et choix à venir pour la Ville de Paris et les collectivités riveraines.

   
   

© Apur - Bois de Vincennes

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© Atelier parisien d’urbanisme, Paris 2020

Directrice de la publication : Dominique ALBA, directrice générale de l’Apur
Directrice de la rédaction
: Patricia PELLOUX, directrice adjointe - Rédacteurs en chef : Patricia PELLOUX et Frédéric BERTRAND
Étude réalisée par : Frédéric BERTRAND, Florence HANAPPE, Vincent NOUAILHAT, Yann-Fanch VAULÉON
Avec le concours de : Anne-Marie VILLOT
Cartographie et traitement statistique : Marie-Thérèse BESSE, Christine DELAHAYE, Tristan LAITHIER, Nathan PAULOT
Photographies et illustrations : Apur sauf mention contraire

Dépôt légal : mai 2020 - ISBN : 978-2-36089-017-0 - ISSN : 1773-7974

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