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Ouvrage Les bois de Boulogne et de Vincennes :
1840 hectares de nature à revisiter

Le bois de Vincennes :
(1-1) Paysage et environnement

Un site chargé d’histoire : chasses royales,
grands travaux d’Alphand et plan de gestion d’un bois-forêt
Le patrimoine



Les bois de Boulogne et de Vincennes sont deux espaces de respiration uniques, situés au coeur du Grand Paris. Représentant à eux deux près du quart de la surface du Paris urbanisé, les deux bois occupent un espace équivalent aux huit premiers arrondissements. Ils sont fréquentés par des habitués mais sont encore méconnus par beaucoup d’habitants. Une grande diversité d’usages existe : pour certains, ils représentent des axes de circulation rapide, pour d’autres le plaisir du footing dans les allées, de la promenade et pique-nique sous les arbres, du canotage sur les plans d’eau… Les Charte du bois de Vincennes (1) et de Boulogne, signées en 2003, ont constitué un cadre précieux, en définissant quatre axes majeurs pour structurer un projet ambitieux d’aménagement durable des bois : réhabiliter les paysages et restaurer les milieux naturels ; réduire fortement la circulation automobile pour une promenade tranquille ; reconquérir l’espace public des bois et gérer les activités dans la cohérence et la transparence ; et enfin innover dans les modes de gestion et de gouvernance.

Un site chargé d’histoire : chasses royales, grands travaux d’Alphand et plan de gestion d’un bois-forêt

Le bois de Vincennes, vestige de la forêt de Vilcena, l’antique ceinture forestière de Lutèce, devient une réserve de chasse royale au XIIe siècle, sous Phillipe Auguste, qui le ceint de murs et l’approvisionne de gibier. Au XVIIIe siècle, le bois fait plus de 750 ha quand Napoléon 1er le convertit en camp retranché de ses armées, pour la protection de Paris. En résulte un vaste défrichement qui coupe le bois en deux, en son milieu.
Au XIXe siècle, lorsque Napoléon III confie à Alphand l’embellissement du bois de Vincennes et de ses extensions, le bois fait 995 hectares. Alphand aménage les extensions du bois, dont le secteur Daumesnil, transforme les pelouses en parcs à l’anglaise, trace des allées courbes et fait creuser quatre lacs dans lesquels sont aménagées des îles et quelques pavillons. Les emprises militaires, toujours actives, sont réduites par la création de l’hippodrome et les plantations le long de la route de la Pyramide.
L’exposition coloniale de 1907 se tient dans l’une des clairières aménagées par Alphand, l’actuel Jardin d’Agronomie Tropicale. Cinq villages sont reconstitués - Indochine, Madagascar, Congo, Soudan, Tunisie, Maroc - selon les grandes possessions de l’empire français. En 1931, l’exposition coloniale internationale se tient près de la porte Dorée, sur 110 hectares autour du lac Daumesnil. Cette exposition a légué au bois le Palais de la porte Dorée, classé monument historique, l’enclos bouddhique comprenant l’ancien pavillon du Togo et l’ancien pavillon du Cameroun, restauré en 1977 et transformé en pagode, et le Parc zoologique inauguré en 1934, qui fait suite au zoo temporaire aménagé lors de l’exposition coloniale près de Saint-Mandé.
Après la seconde guerre mondiale, les emprises militaires sont peu à peu rendues à la promenade et réaménagées suivant les plans de Jean Trouvelot, architecte en chef du château de Vincennes de 1942 à 1948, qui souhaitait relier le bois au château et recréer la trame paysagère des allées royales. Les plaines de jeux sont alors aménagées, des routes sont créées à la place des anciens champs de manœuvre, l’allée Royale est percée en 1964, le Parc Floral réalisé en 1969.
À partir de 1977, la reconquête des bois se traduit par la fermeture de voies à la circulation et la mise en œuvre de plantations forestières, notamment dans le secteur de l’allée Royale, pour reconstituer le cœur de massif.
Fin 1999, les dégâts occasionnés par la tempête Lothar ont détruit 20 % du bois (210 ha), bouleversant profondément la cohérence des ensembles forestiers et la perception des continuités paysagères.
Il s’ensuit un programme de plantations qui prend appui sur le plan de gestion arboricole élaboré par la DEVE pour la période 2006-2020.

2006-2009 : vers un bois-forêt


© doc. Apur- Source : plan de l’abbé Jean Delagrive (1728)

1730 : la forêt et les chasses royales
 

© gallica.bnf.fr/Bibliothèque Nationale de France

1850 : les travaux d’Alphand
 
 

(1) La Charte du bois de Vincennes

Elle a été signée le 26 avril 2003 par
les maires de Charenton-le-Pont, Paris, Fontenay-sous-Bois, Joinville-le-Pont, Maisons-Alfort, Nogent-sur-Marne,
Saint-Mandé, Saint-Maurice, Vincennes,
le président du Conseil régional
d’Île-de-France et le président
du Conseil général du Val-de-Marne.

 

Le patrimoine

Le patrimoine paysager du bois de Vincennes est le fruit d’une succession d’époques qui ont transformé le bois en gommant l’essentiel des traces précédentes, dessinant un paysage fait d’une mosaïque d’espaces et d’ambiances différentes.

Le bois de Vincennes présente une grande diversité d’ambiances et de paysages, auxquels sont associés des usages souvent distincts. Cette diversité ne se limite pas aux paysages naturels, elle concerne aussi les grandes perspectives et les vues lointaines, les bâtiments, les enclos, les voies de circulation et de promenade, les parcs de stationnement, le mobilier et leur insertion paysagère.

Le patrimoine qui s’étend sur 543 hectares, partie centrale du bois de Vincennes, a de nombreuses fois été remanié, rasé, replanté, divisé en deux massifs, pour se recomposer aujourd’hui dans l’optique de retrouver un massif unique renouant avec les qualités de forêt dense au caractère naturel.
Il occupe aujourd’hui un peu moins de la moitié de la surface du bois. Le plus grand massif (plus de 300 ha) est situé au centre du bois. Structuré par les grandes perspectives de l’allée Royale, du rond-point et ses allées rayonnantes, ce massif a retrouvé un caractère de forêt avec la fermeture à la circulation de la route de la Tourelle en 1996. La quiétude installée sur un cinquième environ de la superficie du bois a permis le retour d’une petite faune et a rendu étonnamment paisibles les promenades forestières. Le second massif (150 ha) se développe au nord-est, autour du lac des Minimes. Il est séparé du premier par les équipements publics ou privés qui ont pris place de part et d’autre de l’avenue de la Pyramide, sur d’anciens terrains d’exercices militaires. Bien qu’il soit traversé par de grandes routes circulées, ce massif forestier a néanmoins connu une amélioration de son ambiance sonore en 1999, lorsque le tronçon encore pratiqué de la route circulaire du lac des Minimes a été neutralisé. La fermeture, le dimanche, de plusieurs routes circulées dans le cadre de Paris Respire en agrémente encore la fréquentation, notamment depuis les communes de Vincennes et de Fontenay-sous-Bois.

Mise en scène paysagères du Grand Rocher du Parc zoologique
sur le lac Daumesnil
© Apur - JC Bonijol

La tempête Lothar de 1999, en abattant 210 ha de massif, principalement les peuplements forestiers anciens, a permis de procéder à un fort rajeunissement et une grande opération de densification des massifs, privilégiant les essences régionales et un mode de gestion forestier.
Ce programme de plantation prend appui sur le plan de gestion arboricole 2006-2020. Ce plan décrit la typologie des espaces du bois déterminée en fonction de caractéristiques évaluées en termes de qualité paysagère, de patrimoine écologique, de fréquentation et de gestion, et détaille l’évolution des parcelles attendue d’ici 2020. Cette évolution concerne plus de 80 hectares et traduit un objectif de renforcement des caractéristiques forestières pour amener la forêt au plus près de la ville, relier les deux massifs par des continuités forestières pour refermer la large blessure centrale causée par les défrichements militaires réalisés à partir de la révolution et jusqu’au milieu du XIXe siècle. Les cartes de comparaison des hauteurs de végétation de 2005 et 2015 (cf. page 38) illustrent parfaitement les effets significatifs de cette gestion, notamment sur les deux grands massifs forestiers cités, mais aussi au sud de l’INSEP, et autour des concessions qui séparent les deux massifs.

Patrimoine paysager du bois

Ce massif forestier comporte deux types de densité :

  • les massifs forestiers denses, où la fréquentation est modérée, sont principalement des espaces où l’on se promène sans s’arrêter longtemps ;
  • les massifs forestiers clairiérés, c’est-à-dire accompagnés de clairières de petites dimensions se situant principalement autour de l’allée Royale, aux abords du lac des Minimes ou en lisière de Fontenay-sous-Bois. Les abords boisés du lac des Minimes, à l’instar des aménagements paysagers des autres lacs du bois, connaissent des sur-fréquentations chroniques. Les clairières, l’allée Royale et les autres grandes allées du coeur de bois – lieux de promenade et de séjour – présentent les mêmes usages mais à l’écart du bruit et de la forte fréquentation.

Les autres espaces du bois requièrent des moyens plus importants pour leur entretien, à la mesure d’une fréquentation nettement supérieure de ces emprises. Ils répondent à une demande sociale très forte d’espaces polyvalents et d’espaces paysagers, faciles d’accès et sûrs. Ils se composent de :

  • Les massifs forestiers clairsemés s’étendent sur 85 ha et sont caractérisés par un peuplement arboré hétérogène sur prairie. Il est présent en rive de Vincennes et de Saint-Mandé ou en rives des plaines de sport. La gestion de ces espaces fait notamment appel au fauchage différencié. En laissant par endroits des herbes hautes, cette technique vise à réduire la profondeur du champ visuel d’une personne assise pour que la forte fréquentation de ces espaces soit ressentie moins négativement. Elle permet également de maintenir et de favoriser une diversité écologique de la faune.

Perspective sur le château de Vincennes depuis l’allée Royale
© Apur - JC Bonijol

  • Les prairies arborées, caractérisées par leur grande ouverture, sont présentes au nord de Charenton-le-Pont et près du lac de Gravelle. Les horizons sont larges et les essences assez variées. Les prairies font également l’objet d’un fauchage différencié. Mais entre Charenton-le-Pont et le lac Daumesnil, la proximité des voies de circulation, du champ de foire et des fêtes à l’Institut Bouddhique réduit leur qualité d’usage.
  • Les espaces paysagers ou jardinés aménagés en parcs urbains périphériques, héritages de l’art d’Alphand, totalisent 51 ha et s’apparentent par leur gestion aux parcs et aux squares qui existent dans Paris. Les pelouses sont ici plus soignées, jardinées, parfois entourées de grilles basses. Les essences et les plantes rencontrées sont très variées et il existe de beaux arbres isolés. C’est notamment le paysage des lacs Daumesnil et de Saint-Mandé. Pour beaucoup, aller au bois de Vincennes se limite à visiter ces espaces. Souvent sur-fréquentés, ces derniers souffrent de fortes dégradations.
  • Les plaines de jeux en accès libre forment un paysage ouvert de 25 ha.
    Un système bocagé y a été créé pour permettre aux promeneurs de franchir les plaines de jeux sans conflit avec les sportifs mais aussi pour intégrer ces espaces au paysage du bois.
    D’autres espaces du bois bénéficient de modes de gestion comparables à ceux des espaces paysagers ouverts et des abords des lacs. Ainsi, le Parc Floral, les squares, l’École d’Horticulture du Breuil, le Parc zoologique ainsi que l’hippodrome bénéficient d’une gestion horticole soignée : mise en valeur des collections botaniques et horticoles, des massifs floraux ou arbustifs taillés et régulièrement remplacés, tonte fréquente et arrosage régulier des pelouses, collecte des déchets végétaux et des feuilles.

Des travaux d’Alphand on retient principalement les aménagements paysagers de Daumesnil, des clairières de Fontenay, de Saint-Mandé, notamment ; le réseau hydrographique comptant 9,5 km de rivières et 4 lacs ; les systèmes de perspectives profitant de la situation en belvédère de la route de Gravelle pour ouvrir des vues généreuses sur le grand paysage parisien, ou composant plus finement avec les pleins et les vides dans ses aménagements pour donner de la profondeur et de l’agrément et mettre en scène les bâtiments et ouvrages construits dans le bois. À la trame sinueuse des aménagements d’Alphand, se sont superposés les tracés rectilignes imaginés par Trouvelot à qui est confié l’aménagement du bois et sa replantation après la seconde guerre mondiale. Il opte alors pour reconstituer les grandes compositions des chasses royales, et ainsi relier le bois à l’histoire du château de Vincennes. C’est notamment pour ce double héritage que le bois de Vincennes a été classé au titre des sites naturels pittoresques en 1960 par André Malraux.
Près de 25 km d’alignements d’arbres datent de la seconde moitié du XIXe siècle. Si la tempête a accéléré le processus de régénération, l’état phytosanitaire et la densité des arbres encore présents imposent un ordre de priorité pour leur renouvellement, particulièrement sur les avenues du Tremblay et de Nogent. Les nouvelles plantations sont plus espacées (7 à 10 m au lieu de 5 m) et la DEVE limite certaines essences comme les marronniers, autrefois dominants, du fait des ravages causés par la mineuse du marronnier. Les essences sont choisies en fonction des types de voies et de leur histoire, mais aussi des peuplements existants. Elles participent ainsi à l’articulation de différents types de parcelles forestières et à la continuité des paysages.
La préservation de ces caractéristiques, identifiées dans le plan de gestion arboricole 2006-2020, sera poursuivie et enrichie dans le cadre de son renouvellement qui prévoit :

  • La restauration des compositions paysagères historiques
  • La préservation et le développement de la biodiversité
  • La prise en compte de l’évolution des usages.

Hêtre vert pleureur, square Carnot, Paris XIIe :
Le bois de Vincennes compte 24 arbres remarquables dont 7 sur l’île de Bercy
du lac Daumesnil. Ces arbres sont distingués pour leur intérêt paysager,
leur silhouette, leurs dimensions exceptionnelles, leur intérêt horticole,
ou encore leur rareté.
© DEVE - Aurélia Chavanne


© Christophe Jacquet – Ville de Paris

 
La quiétude installée sur un cinquième environ de la superficie du bois a permis le retour d’une petite faune et a rendu étonnamment paisibles les promenades forestières.  

Source : DEVE

 

 

Resserrement progressif des perspectives historiques depuis la colline de Gravelle © Apur

Mise en scène des pavillons du lac des Minimes © Apur
 

Mise en scène paysagère et perspective vers le temple de l’Amour sur le lac Daumesnil
© Apur - JC Bonijol

Vue sur l’hôtel Motel One Paris-Porte Dorée depuis l’île de Reuilly, lac Daumesnil
© Apur - JC Bonijol
 

Les douves du Fort Neuf de Vincennes :
une ZIEP en réflexion
© Apur

Le square Carnot, une entrée de bois dans le style des parcs paysagers parisiens du XIXe siècle © Apur
 

Densification des plantations forestières
sur le secteur des plaines de jeux
© Apur
 

Hauteur de la végétation en 2005


Hauteur de la végétation en 2015

 
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Ouvrage Les bois de Boulogne et de Vincennes : 1840 hectares de nature à revisiter

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Atelier parisien d’urbanisme

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Les deux bois restent encore des espaces fragmentés, à la fois par les infrastructures routières et par les concessions qui les morcellent. L’enjeu est d’atteindre un juste équilibre entre les différents usages, les activités économiques, la préservation et la valorisation du patrimoine paysager et bâti et le développement de la biodiversité.
L'ouvrage présente, 17 ans après les Chartes des bois, un diagnostic mettant en avant, dans une vision holistique, les actions réalisées, et esquisse des pistes d’évolutions. Aujourd’hui, à la fois l’urgence climatique, les nouvelles attentes des citadins, et l’exigence patrimoniale nous invitent à engager une nouvelle étape de développement des deux bois. Ce diagnostic prospectif peut constituer un socle commun pour nourrir les échanges et choix à venir par la Ville de Paris et les collectivités riveraines.

   


© Apur - Bois de Vincennes

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© Atelier parisien d’urbanisme, Paris 2020

Directrice de la publication : Dominique ALBA, directrice générale de l’Apur
Directrice de la rédaction
: Patricia PELLOUX, directrice adjointe - Rédacteurs en chef : Patricia PELLOUX et Frédéric BERTRAND
Étude réalisée par : Frédéric BERTRAND, Florence HANAPPE, Vincent NOUAILHAT, Yann-Fanch VAULÉON - Avec le concours de : Anne-Marie VILLOT
Cartographie et traitement statistique : Marie-Thérèse BESSE, Christine DELAHAYE, Tristan LAITHIER, Nathan PAULOT
Photographies et illustrations : Apur sauf mention contraire

Dépôt légal : mai 2020 - ISBN : 978-2-36089-017-0 - ISSN : 1773-7974

apur.org