Étude Les mobilités émergentes,
trottinettes, scooters et vélos en partage

Profils, pratiques, attentes à partir d'une enquête réalisée auprès d'utilisateurs

(1) Introduction
L’état des lieux de ces services de mobilité

Intégration dans l’espace public et bilan carbone : La régulation des flottes et des pratiques

 


Les mobilités urbaines ont profondément évolué en peu d’années, offrant une plus grande diversité de services. Au diptyque voiture personnelle-transports en commun, se substitue désormais un riche panel de propositions de déplacements permettant de réaliser
des gains de temps significatifs pour parcourir de courtes distances. Avec une mobilité très forte - 8,8 millions de déplacements internes
à Paris en 2018 - et des portées courtes - 72 % des déplacements font moins de 2 kilomètres, 92 % moins de 5 kilomètres -, Paris représente
un espace d’expérimentations de premier ordre pour les nouvelles mobilités. Les premiers résultats de l’Enquête Globale de Transport
de 2018 viennent d’ailleurs renforcer cette observation en soulignant l’intensification des déplacements internes à Paris depuis 2010 :
+ 10 %. Forts de ces constats, les opérateurs privés ont ainsi déployé dès 2016, avec Cityscoot d’abord, une offre en mobilités
alternatives et surtout en
free-floating, sans station d’attache.

Introduction

Le vélo en flotte libre a conquis rapidement les grandes métropoles, rencontrant un besoin non comblé d’offres en déplacements alliant le libre-service, l’absence de contingences liées à l’entretien, au risque de vols et de dégradations, la non-nécessité de disposer d’un local dédié à l’accueil de l’engin. Autant d’atouts qui ont démontré leur importance dans les grandes métropoles en séduisant un public plutôt composé de jeunes actifs ou d’étudiants, provenant majoritairement, mais pas toujours, de milieux sociaux aisés et diplômés du supérieur.
Leur forte connectivité et leur aisance numérique, associées à des outils de téléphonie mobile de plus en plus performants, permettent un accès et un usage faciles et intuitifs à des applications puissantes et ergonomiques. Ces applications rendent possibles la localisation, la réservation et le déverrouillage des engins de déplacements en un clic. Si les objets en question ne sont pas si nouveaux, à l’exception de quelques engins précis - gyroroue, hoverboard… -, le procédé en revanche l’est : s’approprier un engin à un moment pour un besoin donné sans en être propriétaire et le repositionner sur l’espace public pour le mettre à disposition d’un nouvel usager.

La motorisation électrique a également favorisé le recours à ces engins, car il permet d’atteindre des vitesses de déplacements 5 à 6 fois plus rapides que la marche : 25 km/h maximum pour 4 à 5 km/h en milieu urbain pour la marche et 12 km/h pour un vélo classique. On assimile les engins de glisse urbaine à une forme de marche augmentée, une autre façon de dire qu’on se déplace en surface, sur voirie, seul et vite. Cette allure de déplacements, associée à la flexibilité d’accès, contribue à rendre ludique l’utilisation de ces moyens de locomotion.

Dès lors, l’irruption massive et rapide d’opérateurs privés de micro-mobilités partagées dans le paysage parisien introduit de nouvelles façons de faire en matière de déplacements et d’usages des espaces publics.
L’Apur, dans le cadre de son programme partenarial, a souhaité mieux documenter ces usages et utilisateurs. Ce rapport est composé de deux grands chapitres :

  • La première partie documente les pratiques en s’appuyant sur les expertises de chercheurs et les résultats d’enquêtes livrés par des bureaux d’études et des organismes institutionnels.
  • La deuxième partie présente l’analyse de l’enquête menée par l’Apur auprès des usagers de ces engins de déplacements personnels - e-EDP - à Paris pour mieux documenter leur profil, les freins et les attentes associés à ces offres. Cette enquête a été conduite en lien avec les opérateurs.

Rue Saint-Honoré, mars 2020, Paris (Ier)
- © Apur

Au-delà de ces caractéristiques, cinq variables viendront enrichir le référentiel de connaissances en matière de nouveaux engins de déplacements personnels : les motifs, portées et durées des déplacements, la multimodalité, l’accidentologie, les effets de substitution. Des informations sur les avantages, les inconvénients, les pistes d’amélioration de ces micro-mobilités complètent l’ensemble.

Cette étude fournit aux décideurs publics, aux gestionnaires de voirie, aux opérateurs, des éléments factuels et objectivés sur lesquels s’appuyer pour agir.

Elle a pu bénéficier du concours d’une partie des opérateurs actifs dans la capitale. Huit d’entre eux, sur onze, ont accepté de mettre en ligne un lien vers le questionnaire comportant une quarantaine de questions. Deux de plus ont fourni des éléments sur leur activité depuis leur arrivée à Paris :

  • Lime (trottinettes)
  • Bird (trottinettes)
  • Dott (trottinettes)
  • Tier (trottinettes)
  • Voi (trottinettes)
  • Circ (trottinettes)
  • Jump (trottinettes, vélos)
  • Vélib’ (vélos)
  • Cityscoot (scooters)
  • Troopy (scooters)


© Joséphine Brueder Mairie de Paris


© Apur

L’état des lieux de ces services de mobilité


Station Vélib’, août 2007, Place Mohammed V, Paris (Ve) - © Apur

Les prémices du passage de la propriété au partage, Vélib’, Autolib’

Le contexte historique a contribué à l’arrivée dans la ville de nouvelles formes de déplacements et de nouveaux acteurs. Le recul de la voiture à Paris qui se traduit par une diminution des ventes de voitures neuves et d’occasion, par la baisse des taux de motorisation, par le recul du trafic routier, et par la réduction de la chaussée réservée aux véhicules carbonés, ne sont pas des phénomènes conjoncturels. Ils s’inscrivent dans le temps long. Ce recul coïncide notamment avec une demande sociale en matière de préservation de l’environnement, demande sociale qui s’est amplifiée avec les communications désormais régulières sur le changement climatique global - rapports très médiatisés du GIEC - et sur les pollutions locales : mesures permanentes réalisées par les 70 capteurs d’Airparif répartis en Île-de-France, puis plus récemment, mesures des nuisances sonores à partir des 170 stations de mesure déployées par BruitParif. Ces messages émaillent dorénavant le quotidien des populations.

La somme de connaissances désormais réunies sur la question du changement climatique, de ses origines et ses impacts, a convaincu les acteurs publics en Europe, en France, et notamment à Paris, de conduire des actions en faveur de la réduction de ces effets.

Depuis une quinzaine d’années, la Ville de Paris intervient pour réduire les sources d’émissions polluantes. De nombreux dispositifs et plans encadrent et concrétisent ces orientations : Plan Climat, Plan de Santé Environnementale et plus récemment, mise en place d’une Zone à circulation Restreinte, intégration à la Zones à Faibles Émissions métropolitaine. Ils inscrivent de façon concrète et durable l’interdiction progressive des véhicules les plus polluants. Ces dispositifs convergent avec des plans établis à l’échelon national et régional, notamment le Plan de Déplacements Urbains d’Île-de-France et le Plan de Protection de l’Atmosphère.
Si les mesures de restriction pèsent de manière forte sur le transport carboné, dans une métropole où le nombre de déplacements quotidiens, qu’ils soient contraints ou choisis, est intense, des solutions alternatives sont proposées.
C’est ce que les dispositifs Vélib’, Autolib’ et plus largement l’autopartage, se sont employés à faire.

Ces offres ont accompagné la montée en puissance des préoccupations environnementales, tout en proposant de la desserte sur-mesure en complément du réseau public de transports en commun lourds. Elles s’inscrivent dans un contexte d’accélération de la montée des déplacements en Île-de-France. Cette intensification se vérifie avec les Enquêtes Globales de Transport, conduites depuis 1976 en Île-de-France.

En 2018, on compte 43 millions de déplacements journaliers en Île-de-France, dont 8,8 millions internes à Paris. Ces volumes étaient respectivement de 35 millions et 7,1 millions en 2001, soit des augmentations de 23 % et 24 %. Dans le même temps, les déplacements en transports en commun ont augmenté de 38 %, une demande qui s’avère très élevée et qui conduit à une saturation de certains réseaux, malgré une hausse de l’offre commerciale : + 19 % de trains x km sur le réseau francilien. L’augmentation du nombre de déplacements journaliers s’est donc accélérée, passant de 0,6 % en croissance annuelle moyenne entre 1976 et 2001 à 1,2 % entre 2001 et 2018. Les liaisons Paris-Paris se sont fortement accrues entre 2001 et 2018 - + 34 % -, après un coup de frein enregistré entre 1976 et 2001.

Paradoxalement, les déplacements des résidents parisiens ont augmenté de 9 % entre 1976 et 2010, alors même que la population municipale diminuait légèrement - - 2,5 % entre les recensements de 1975 et de 2010 -, témoignant d’une hausse des besoins de déplacements au cours d’une journée.

De nouveaux modes de transports émergent, destinés à accélérer la démotorisation des ménages, en offrant de la souplesse dans les réponses :

  • L’autopartage, consistant en une mise en commun de flottes de voitures à destination de tous.
  • Le vélo en libre-service en stations


Le système Vélib’

Lancé en 2007 à Paris et dans 30 communes riveraines, le système Vélib’ a fait l’objet d’une Délégation de Service Public entre le groupe Decaux et la Ville de Paris pour une période de 10 ans, le terme étant fixé à février 2017. Il a permis de déployer 1 240 stations fixes proposant ensemble un bouquet de 19 000 vélos. Au moment du renouvellement du marché, on recensait 40 millions de locations annuelles et près de 300 000 abonnés longue durée.

Déployé en 2007, le système est venu rejoindre le cortège des villes qui avaient déjà mis en place des vélos en libre-service : Rennes - 1998, abandonné en 2009 -, Grenoble - système de location mis en place en 2004 -, Lyon,(200), La Rochelle, 2005, Orléans, 2007, Montpellier, 2007, et Aix-en-Provence, 2007, abandonné en 2011. Depuis, de nombreuses autres villes et agglomérations sont venues grossir les rangs des collectivités proposant ce type de service.
Un nouvel opérateur a été désigné le 12 avril 2017, au terme de la première Délégation de Service Public : Smovengo. Le changement de gestionnaire a eu lieu le 1er janvier 2018. Le périmètre opérationnel, jusqu’alors limité à Paris et à une bande de 1,5 kilomètre autour de Paris s’est élargi. Il comprend désormais 56 communes. Le nouveau système introduit également une part de vélos à assistance électrique. Il prévoit la mise en service de 20 000 vélos - 16 000 aujourd’hui -, dont 30 % à assistance électrique.
Le nombre d’abonnés atteint, au début de l’année 2020, 340 000 individus.


Station Vélib’, août 2019, Pont Renault, Boulogne-Billancourt (92) - © Apur – Sarah Cantaloube
Une sortie programmée des motorisations thermiques qui favorise ces offres alternatives.


Vélib’, Autolib’ et autopartage, des succès qui ont généré
de nouveaux besoins

C’est sur cette toile de fond du combat en faveur d’une amélioration de la qualité de l’air que se sont déployées de nouvelles options.
Dans la Métropole du Grand Paris, Vélib’ et Autolib’, ainsi que les services en autopartage, ont ouvert la voie à une nouvelle dimension du déplacement personnel : l’usage, sans la possession, et le service en trace directe plutôt qu’en boucle, retour à la station de départ. Ces deux innovations majeures ont bouleversé la pratique des citadins.

Vélib’, puis Autolib’, ont nourri une expérience innovante de la mobilité en ville. Proposant au plus grand nombre, en divers points de l’espace public, une offre en mobilité propre, ils ont ouvert le champ à des pratiques qui ont transformé le paysage du déplacement et ont permis l’arrivée de nouveaux opérateurs.

Trois principes président à l’émergence de ces dispositifs et au soutien des pouvoirs publics :

  • L’idée d’aboutir à moins en offrant plus : c’est le pari du report modal. En proposant des vélos en libre-service et de l’autopartage, on table sur un abandon des véhicules personnels.
  • L’objectif de répondre aux ambitions du Plan Climat en accordant une place privilégiée aux motorisations non thermiques et aux modes doux. Cet enjeu a conduit à développer l’offre en bornes de recharges électriques aux véhicules Autolib’, puis aux prestataires d’autopartage.
  • Enfin, le mobilier urbain et les emplacements de stationnement associés à ces offres permettent d’optimiser des emplacements de surface jusqu’ici réservés aux véhicules carbonés. Le dispositif Mobilib’ permet ainsi à la Ville de Paris de contrôler la gestion de sa voirie en octroyant des places en surface aux postulants à l’autopartage. Elle entend ainsi garder la maîtrise du maillage des flottes et encourager la location en boucle qui favorise les emprunts de longue durée.

Le cadre juridique évolue également à grande vitesse pour faciliter la mise en place de ces outils : les lois n°2010-788 du 12 juillet 2010 - dite Grenelle 2 - et n°2014-58 du 27 janvier 2014 - dite MAPTAM - ont créé le label autopartage et lui ont associé des facilités. Ces dispositions étendent également les compétences des autorités organisatrices de mobilité en matière d’organisation.

Le free-floating a fait son apparition en 2016 à Paris avec les scooters, rapidement suivis par d’autres opérateurs sur de nouveaux segments de marché.


© Apur


Le système Autolib’

En 2011, une Délégation de Service Public est conclue avec le groupe Bolloré pour déployer un système de voitures électriques en libre-service et en trace directe, d’un point A à un point B : Autolib’. Le système est venu compléter, à grande échelle, une offre en autopartage relativement modeste, au statut privé, et fonctionnant en boucle. Il a assoupli ces dispositifs en mettant à disposition des citadins des véhicules électriques, de petite taille, dont la réservation n’est pas nécessaire et qui ne doivent pas être obligatoirement ramenés à la station de départ.

Couvrant 665 km² fin 2016 - soit un peu moins que la surface de la Métropole du Grand Paris -, le système proposait près de 4 000 véhicules électriques répartis dans 1 100 stations. Malgré un succès populaire important - 155 000 abonnés en mai 2018 contre 37 700 en 2012 -, le système a été abandonné à l’été 2018, en raison de coûts d’exploitation trop lourds. La disparition d’Autolib’ a laissé deux héritages majeurs : 6 000 bornes de recharge électriques sur l’espace public - dont 3 300 à Paris - et une pratique de l’autopartage qui a rencontré un vivier d’utilisateurs important. Dans un premier temps neutralisée, une partie de ces bornes de recharge électrique a été réactivée et la réutilisation des autres est en discussion. Un appel d’offres, organisé par la Ville de Paris, désignera dans le courant du deuxième semestre 2020 un opérateur pour déposer 1 900 bornes parisiennes et les remplacer par des bornes plus puissantes destinées à tous les véhicules électriques, tous modèles de voitures et deuxroues électriques. De son côté, le SIPPEREC réactive des bornes Autolib’ et en installe de nouvelles dans la Métropole du Grand Paris, sur son territoire de compétence.
Les usagers ont la possibilité de se tourner vers d’autres offres, puisque la Ville de Paris continue de promouvoir l’autopartage en encourageant les installations d’opérateurs privés : ShareNow, anciennement Car2Go (Daimler et BMW), Moov’in (Renault), Free2Move (PSA), et Mobilib’, proposé en mai 2019 à 4 opérateurs : Ada, Communauto, Drivy et Ubeeqo, tous 4 en boucle, c’est-à-dire avec un retour à l’emplacement de départ. Au total, 1 213 places de stationnement en voirie ont été affectées à ce bouquet d’opérateurs, dont 713 correspondent à d’anciennes places Autolib’.

Free2Move, novembre 2019, avenue Philippe Auguste, Paris (XIe) - © Apur

Des dispositifs qui ont ouvert la voie aux flottes libres de véhicules partagés

Le recul dont on dispose aujourd’hui permet d’attester que ces systèmes ont trouvé et fidélisé leur public. Avec 155 000 abonnés Autolib’ en mai 2018 et 300 000 abonnés Vélib’ au terme de la première Délégation de Service Public, on peut affirmer que ces acteurs historiques ont préparé le terrain à l’arrivée des systèmes sans station d’attache. Autolib’ et Vélib’ ont noué une relation de fidélité suffisamment forte avec leurs abonnés pour alimenter un besoin qui a pu être comblé, avec la fin du service Autolib’ et le changement du marché Vélib’, par l’offre de flottes partagées en free-floating.

Enhardis par le succès de ces dispositifs - Autolib’, Vélib’, VTC, ventes de trottinettes et engins de déplacements personnels -, les opérateurs privés ont saisi la balle au bond et se sont glissés dans le paysage des mobilités urbaines.
Une galaxie d’exploitants s’est ainsi introduite dans l’espace public parisien dans un intervalle de temps très court, déployant au plus fort de l’activité pas moins de 20 000 trottinettes, 35 000 vélos en libre-service - opérateurs privés et Délégation de Service Public pour le Vélib’ - et 6 000 scooters.

Les premiers services de mobilité partagée sont associés à l’existence d’une station d’attache. Une décennie plus tard, ils ont été rejoints, voire distancés, par des dispositifs d’un genre nouveau : la flotte libre - ou free-floating -, qui dispense l’usager de raccrocher l’engin à une borne. Les premiers entrants sur le marché international du vélo sont deux sociétés chinoises : Ofo en 2014, puis Mobike en 2015.

Ces premières ruptures dans les pratiques de déplacements ont été rapidement suivies par l’arrivée des trottinettes électriques, avec Bird puis Lime en 2017, deux opérateurs originaires de Californie.

Vélib’ et Autolib’
ont popularisé les
mobilités partagées.


L’état des lieux des différentes flottes et opérateurs

Cityscoot, leader privé du scooter en free-floating, est présent à Paris dès juin 2016.
Pour les vélos, Gobee Bike, puis Obike et enfin Ofo, inondent le marché parisien en moins de trois mois à partir d’octobre 2017 avec 6 500 vélos environ.
Côté trottinettes, c’est d’abord Lime qui, le premier, s’installe sur les trottoirs parisiens. Le service sera suivi de près par d’autres opérateurs, et on comptera rapidement 12 exploitants de trottinettes à Paris en moins de 12 mois.

Très vite, les flottes se déploient dans l’espace public. Le parc de trottinettes a atteint jusqu’à 20 000 unités. En mai 2019, la Ville de Paris estime à environ 15 000 le nombre d’entre elles en service dans la capitale, et on comptabilise, début 2020, 18 000 trottinettes en free-floating. À ce parc, il convient d’ajouter environ 8 500 vélos et 4 000 scooters en flotte libre ainsi que les 16 000 Vélib’ aujourd’hui.

La période de latence est ainsi extrêmement courte - moins de 10 ans - entre le partage avec stations - Vélib’, 2007 - et le partage sans station : CityScoot, 2016. C’est un intervalle très bref au regard des révolutions en matière de transport.

Le secteur du free-floating est en phase de consolidation : la valse des opérateurs se déroule en 3 temps

Les trottinettes

Au foisonnement initial qui a vu jusqu’à 12 opérateurs et 20 000 trottinettes cohabiter sur les trottoirs parisiens, au moment du pic de déploiement, succède désormais une phase de consolidation qui se traduit par l’abandon spontané de plusieurs opérateurs, ou des fusions-acquisitions. Cette volonté de conquête du marché parisien montre la mobilisation d’investisseurs pour un segment jugé prometteur, voire lucratif à terme.

La concurrence que se livrent les opérateurs pour atteindre une taille critique et dominer le marché se traduit par la disparition des entreprises les plus fragiles. Les investissements nécessaires au bon fonctionnement du système nécessitent de solides capacités financières. L’espérance de vie moyenne d’une trottinette partagée est courte, estimée à 6 mois, les flottes doivent être entretenues et renouvelées en permanence, leur localisation régulée, leur batterie alimentée, les épaves récupérées…
Bolt, B-Mobility, Wind, Hive et Ufo ont suspendu leur service à Paris. Voi et Tier sont revenus après une interruption de quelques mois.
On compte début 2020 à Paris 7 opérateurs de trottinettes en activité et une flotte qui compte environ 18 000 engins.

Le passage entre les deux phases, très rapide, s’est traduit par la disparition d’environ la moitié des exploitants.
Cette période de consolidation intervient dans un contexte de renforcement de l’arsenal juridique à l’égard du free-floating. La modification du Code de la route et l’octroi de nouvelles compétences aux maires pourraient également se traduire par une nouvelle vague de retrait des opérateurs. Ces mesures s’accompagnent de l’instauration d’une redevance pour occupation de l’espace public et de frais d’enlèvement d’engins lorsque ces derniers finissent en fourrière : 5 300 trottinettes électriques envoyées en fourrière à Paris en 2019.
Le temps de la régulation va modifier encore la morphologie de l’offre, en réduisant le nombre d’opérateurs de trottinettes en free-floating à 3 et en fixant un plafond de 15 000 engins.

Les 3 temps des trottinettes se sont déroulés dans un calendrier très serré :

  • L’apparition des premières flottes et la phase de déploiement ont eu lieu entre juin 2018 et avril 2019.
  • La phase de consolidation a débuté en juin 2019, avec le retrait de Wind, puis d’autres opérateurs. La régulation, dont le point de départ débute avec l’appel d’offres lancé par la Ville de Paris le 20 décembre 2019. Les opérateurs ont eu jusqu’au 11 mars 2020 pour déposer leur candidature. La Ville a désigné les lauréats au mois de juin. Trois opérateurs, qui pourront déployer jusqu’à 5 000 trottinettes chacun, pourront exploiter leur flotte pendant une durée de 2 ans.

Les opérateurs de trottinettes interviennent sur un territoire opérationnel limité à Paris, sauf pour Lime, qui opère également dans le quartier d’affaires de la Défense.
En moins d’une année, le nombre d’opérateurs a été divisé par 1,7 et le parc de trottinettes par 1,1.

Les vélos

Apparus plus tôt que les trottinettes, les vélos en free-floating ont subi également une forte contraction de l’offre.
Mobike s’est installé en janvier 2018 à Paris, suivi, dans les semaines ultérieures, par 6 autres opérateurs.
Au total, 7 opérateurs proposaient un ensemble 16 000 vélos.

Aujourd’hui, seuls demeurent sur le marché le leader américain Jump et l’acteur chinois Mobike, avec une flotte totale d’environ 8 000 vélos, hors Vélib’.
En moins d’une année, le nombre d’opérateurs a été divisé par 3,5 et le parc de vélos par 1,7.

Les scooters

Lancés en juin 2016, les scooters partagés CityScoot ont été rejoints par 2 autres opérateurs : Coup et Troopy.
Dans l’ensemble, les flottes sont plus modestes que celles des vélos et trottinettes et l’opérateur historique reste en position de leader de marché. Au pic du déploiement, on comptait 6 000 scooters en free-floating à Paris. Le principal concurrent de CityScoot, Coup, placé aussi sur le segment de la mobilité électrique, a cessé son activité à la fin de l’année 2019, après 15 mois de présence.

Ne demeurent aujourd’hui que deux opérateurs à Paris : CityScoot et Troopy, nouveau venu sur le marché - lancement en octobre 2018 -, qui se positionne sur une ligne singulière avec son 3 roues motorisé à moteur thermique.
En moins d’une année, le nombre d’opérateurs et le parc ont été divisés d’un tiers.

Le bilan des déplacements à Paris

Chaque année depuis 1990, l’Observatoire des déplacements de la Ville de Paris dresse un portrait chiffré des usages de la voirie au travers d’une batterie d’indicateurs.

Initialement centré sur le recueil de données sur les transports en commun, la circulation et le stationnement, le bilan s’est peu à peu étoffé avec l’introduction de nouvelles thématiques : les deux-roues motorisés, les vélos, le transport de marchandises. L’impact de ces modes de transports sur la voirie légitime un recueil régulier de données permettant de disposer d’un baromètre propre à alimenter la réflexion publique.

Des comptages vélos sont opérés depuis le milieu des années 90 à Paris sur un certain nombre de sites. Le nombre de points de dénombrement a été revu à la hausse en 2016 en lien avec le lancement du plan vélo 2015-2020, qui prévoyait le doublement des aménagements cyclables à Paris.

Les comptages réalisés deux mardis par mois sur 6 sites entre 8h30 et 9h30 puis 17h30 et 18h30 permettent d’obtenir un indice d’évolution du nombre de cyclistes. Ils permettent aussi d’analyser la composition du trafic des vélos, en séparant les vélos en libre-service des autres vélos, qu’ils soient personnels, en free-floating ou en location longue durée. De janvier 2019 à février 2020, Vélib’ représente en moyenne 1 vélo sur 5 sur les sites enquêtés. Après un pic mesuré en août, octobre et novembre - entre 23 et 26 % de la composition du trafic vélo -, son niveau a chuté à 15 % en décembre, 14 % en janvier avant de remonter à 17 % en février. La grève longue durée qui s’est installée dans la capitale a poussé des usagers à s’équiper en achetant un vélo, en louant pour une durée longue ou en recourant aux vélos en free-floating. Conjoncturel, l’impact des grèves dans les transports en commun marque un tournant dans la pratique en installant de façon structurelle le vélo dans les déplacements du quotidien.

Le rapprochement entre évolution du linéaire cyclable et évolution du nombre de vélos entre 1997 et 2018 procure une vision de la trajectoire des deux courbes.

2 évènements introduisent des changements majeurs dans les courbes : le lancement de Vélib’ en 2007, qui se traduit par une montée rapide du nombre de vélos, et la forte augmentation du linéaire cyclable en 2010 résultant de l’introduction des doubles sens cyclables dans les zones 30. L’offre en infrastructures constitue bien l’une des composantes de la pratique du vélo.

Autre modalité de recueil : le comptage, une journée par an, entre 8h et 20h de l’ensemble des vélos sur un échantillon de 39 sites : 6 sites et 33 ponts.
Entre octobre 2002 et octobre 2018, ces décomptes permettent d’évaluer la trajectoire de l’usage du vélo, selon les heures et par type.
La courbe obtenue révèle une trajectoire montante à périmètre constant.
Sur les 39 sites enquêtés, le nombre de vélos décomptés a été multiplié par 2,8, passant de 25 800 engins en 2002 à 70 100 en 2018.

Cette progression n’est pas linéaire et connaît des accidents, avec des chutes de fréquentation lors des journées d’enquête de 2009, 2010 ou encore 2015. Ces écarts par rapport à la courbe ne sont cependant pas de nature à modifier la trajectoire d’ensemble, et ne gomment pas par exemple l’accélération rapide intervenue entre 2009 et 2014, par rapport à une période 2002-2008 plus tempérée en termes de progression.

Cet accroissement sur 39 sites est sans nul doute extrapolable à l’ensemble de la capitale, dans des proportions qui restent cependant à définir.

Depuis le mois d’avril 2019, les opérations de comptage réalisées 2 mardis par mois sur 6 sites parisiens intègrent un décompte des trottinettes. Si le mouvement sur 11 mois d’inventaire présente un profil accidenté, il n’en ressort pas moins que la courbe de tendance est ascendante et laisse entrevoir une projection orientée à la hausse dans les conditions actuelles.
Le pic de janvier 2020 est largement attribuable au mouvement social engagé au début du mois de décembre, qui a affecté l’ensemble du réseau de transports en commun en Île-de-France.

Les éléments complémentaires enregistrés lors de ces comptages montrent un abandon progressif de la circulation sur les trottoirs au profit des pistes cyclables, une information qui démontre l’intégration rapide par les usagers de l’interdiction de circulation sur les trottoirs.

Combien de déplacements en trottinettes à Paris ?

L’inventaire du nombre d’usagers et du nombre de déplacements à bord des engins proposés en free-floating reste encore difficile à établir. En attendant la communication des données - reporting - due par les futurs lauréats de l’appel à projet publié par la Ville de Paris, des éléments sont déjà consultables.
Lors de la dernière Enquête Globale de Transports - résultats 2018 -, les répondants font état de 130 000 déplacements en trottinette par jour. Néanmoins, ce volume ne correspond pas à la totalité des déplacements empruntant une trottinette car l’EGT classe les déplacements trottinette + transports collectifs dans la catégorie transports collectifs. Enfin, le premier opérateur de trottinettes en free-floating, Lime, s’est implanté en juin 2018 à Paris, et la montée en puissance du système s’est opérée à partir de cette date et de l’arrivée d’autres exploitants : août 2018 pour Bird, puis septembre 2018 pour Bolt...
Du côté de 6-T, on évoque un nombre cumulé d’usagers uniques de trottinettes Lime qui atteindrait 950 000 entre juin 2018 - date de mise à disposition des engins à Paris - et avril 2019. Seuls les exploitants sont en capacité de fournir des données précises, issues de l’utilisation réelle de leur matériel.
Tous les opérateurs de trottinettes et de scooters en libre accès ont accepté de nous procurer ces informations, que nous traitons ici sous une forme agrégée en raison de leur caractère confidentiel.
S’agissant des trottinettes, le nombre d’utilisateurs recensés depuis l’arrivée des différents exploitants - du plus ancien en juin 2018 au plus récent en avril 2019 - atteint 4,5 millions de personnes.
Le nombre de trajets réalisés est de 26,4 millions et le nombre de kilomètres parcourus est de 57,1 millions, soit une portée moyenne de 2,2 kilomètres par engin.
Ramenés à une moyenne sur 12 mois, le nombre de trajets passe à 18,5 millions
et le nombre de kilomètres parcourus à 41,3 millions. Ce chiffre revient à 50 800 trajets par jour, qu’il convient de comparer aux 8,8 millions de déplacements quotidiens réalisés intra-muros en 2018, soit 0,6 %. Une part qui résonne modestement, mais une visibilité bien marquée en revanche car ces déplacements sont réalisés en surface.
Les intensités d’usage des flottes sont très variables selon les opérateurs. Les trottinettes Lime ont, par exemple, parcouru près de 20 millions de trajets et 34 millions de kilomètres depuis leur mise en service à Paris. Selon les opérateurs, le ratio de déplacements annuels par engin - nombre de trajets et de kilomètres sur 12 mois et par engin - varie de 1 à 5, allant de 293 trajets par an et par engin en moyenne pour le plus faible à 1 551 pour le plus élevé.
Chaque engin réalise en moyenne près de 3 déplacements par jour, avec des variations assez fortes entre les opérateurs. À titre de comparaison, un Vélib’ est emprunté en moyenne 4,3 fois par jour. L’intensité d’usage serait donc globalement inférieure à celle d’un vélo en libre-service sur station, mais c’est une donnée à considérer avec prudence, car elle résulte de prises moyennes sur une année et ne tient pas compte d’une probable montée en puissance au cours des derniers mois de l’année 2019. Par ailleurs, cette moyenne de 3 déplacements par engin et par jour ne rend pas compte des écarts existants entre opérateurs, assez élevés. S’il est confirmé, ce volume est assez faible pour atteindre des recettes substantielles, une fois retranchés la durée de vie de l’engin, les redevances versées à la collectivité locale, les coûts de fonctionnement et d’investissement. L’évolution de l’un ou l’autre de ces paramètres impacte le résultat net. D’où l’intérêt pour les opérateurs de rechercher des gains en maximisant la durée de vie de leurs engins et en réduisant les coûts de fonctionnement, tout en optimisant le nombre de prises par engin.
La distance moyenne parcourue, 2,2 kilomètres, correspond à un niveau inférieur à celui enregistré lors de l’Enquête Globale de Transports de 2010, qui indique 2,7 kilomètres de distance moyenne pour les déplacements internes au territoire.

On voit que la trottinette se situe à l’intervalle, en situation intermédiaire entre le vélo et les deux-roues motorisés. Ces opérateurs ont établi par ailleurs 17 entrepôts de recharge et ateliers de maintenance dans la métropole, dont 5 à Paris, 1 en grande couronne et 11 en petite couronne.

Trottinettes Bird, octobre 2019, pont Charles-de-Gaulle, Paris (XIIe et XIIIe) - © Bird




Scooter Cityscoot, Paris, 2016 - © Cityscoot

Trottinette VOI sur une zone de stationnement, Paris, 2020 - © 2020 — VOI

Vélos personnels et Jump, rue de Tolbiac,
Paris (XIIIe), novembre 2019 - © ApurSCOOTERS
Source : Apur Une phase de consolidation
qui se traduit par le retrait
de plusieurs exploitants
et par la captation du marché par une poignée d’opérateurs.
Source : Apur Source : Apur

Rue Saint-Honoré, Paris (Ier) - © Apur
Sources : Apur, données opérateurs et presse
Source : l'Observatoire des mobilités émergentes # Vague 3 - Ville de Paris, septembre 2019

Source : Apur, à partir des données fournies par les opérateurs
Trottinettes en free-floating et vélos personnels, avenue de France, Paris (XIIIe),
décembre 2019
- © Apur - Bruno Bouvier
Trottinettes Lime, janvier 2020, Rue François Truffaut, Paris (XIIIe)


Intégration dans l’espace public et bilan carbone : La régulation des flottes et des pratiques

En France, interpellé maintes fois, le législateur a pris plusieurs décisions de nature à modifier les textes en vigueur pour s’adapter à ces nouvelles formes de mobilité. Le décret du 23 octobre 2019 est venu combler l’absence de prescriptions en matière de circulation des engins de déplacements personnels motorisés, en ajoutant cette nouvelle catégorie de véhicules au Code de la route. Ses articles R412-43-1 à R412-43-3 stipulent entre autres que les conducteurs d’EDPM doivent circuler sur les bandes et pistes cyclables en agglomération. En leur absence, ils doivent prioritairement emprunter les routes. Le conducteur doit être âgé d’au moins douze ans. La présence d’une deuxième personne sur la trottinette est interdite. Le fait de contrevenir à ces dispositions expose le fautif à être redevable d’amendes.

La Loi d’Orientation sur les Mobilités est parue au Journal officiel le 26 décembre 2019. Elle fixe un objectif de neutralité carbone des transports terrestres d’ici 2050, avec une réduction de 37,5 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 et l’interdiction de vente des voitures à énergie fossile d’ici 2040. Si la LOM fixe des orientations majeures, il revient aux collectivités locales de traduire ces éléments sur le terrain. Le texte propose un cadre de régulation pour les offres de mobilité en libre-service : trottinettes, vélos ou scooters sans station d’attache. Les autorités organisatrices de la mobilité pourront instaurer des cahiers des charges à respecter par les nouveaux opérateurs. Les ordonnances et décrets d’application sont en cours de rédaction.

© KENZO TRIBOUILLARD / AFP/Archives

Régulation des trottinettes en libre-service : à Paris, fini la roue libre

Ils furent jusqu’à douze à battre le pavé parisien, ils n’y seront plus que trois. Le 23 juillet, la ville de Paris a dévoilé le nom des trois opérateurs de trottinettes en libre-service qui seront dès septembre les seuls autorisés à y déployer leur flotte : la société californienne Lime, la première à s’être installée à Paris en 2018, la start-up franco-néerlandaise Dott, et la société allemande Tier Mobility, déjà implantée dans une soixantaine de villes européennes. Pour réguler leur activité, le choix a été fait de recourir à une convention d’occupation du domaine public. Longtemps entouré d'un flou juridique, l'usage de ces engins a été encadré par la Loi d'Orientation des Mobilités, dont l'article 41 subordonne ce service à la délivrance par la collectivité compétente d'une autorisation préalable et d'un titre d'occupation. Qui dit occupation dit redevance : les opérateurs s'acquitteront d'une redevance à la ville de 45 euros par an et par engin, soit
675 000 euros au total et 225 000 euros par an et par opérateur. Notre volonté était claire, nous réduisons le nombre d’engins à 15 000 - 5 000 par opérateur - et les utilisateurs devront les restituer sur des aires de stationnement dédiées sur la chaussée. C’est donc la fin d’un modèle, celui du free-floating, synonyme
de loi de la jungle et d’anarchie
, a commenté David Belliard, adjoint à la maire de Paris en charge des transports. Pour les accueillir, 2 500 emplacements de stationnement sont prévus, il en reste 300 à aménager. L’appel d’offres parisien comportait par ailleurs des critères environnementaux et sociaux. (Localtis)


Étude Les mobilités émergentes,
trottinettes, scooters et vélos en partage

Profils, pratiques, attentes à partir d'une enquête réalisée auprès d'utilisateurs

Cette étude est composée de deux grands chapitres. La première partie documente les pratiques en s’appuyant sur les travaux d’experts et les résultats d’enquêtes conduites par des bureaux d’études. La deuxième partie présente l’analyse de l’enquête menée par l’Apur auprès de plus de 11 000 usagers pour mieux documenter leur profil, les freins et les attentes associés à ces offres. Elle livre ainsi une cartographie spatiale, sociale et fonctionnelle de la micro-mobilité. Cette enquête a été menée en lien avec 10 opérateurs, la Ville de Paris et Île-de-France Mobilités.

Directrice de la publication : Dominique ALBA
Étude réalisée par :
Sophie RENOUVEL
Sous la direction de :
Patricia PELLOUX
Avec le concours de :
Marie MOLINIER
Cartographie et traitement statistique :
Anne SERVAIS