Grammaire pour une ville neutre en carbone et résiliente

(2) Optimiser les usages
Végétaliser, désimperméabiliser
Mutualiser à toutes les échelles, du bâti au quartier
Vers un PLU Carbone Climat


À l’heure de l’objectif de neutralité carbone à horizon 2050, portée par le Plan Climat Air Énergie parisien, la grammaire ici développée vise à éclairer quelques-uns des leviers pour tendre vers la ville neutre en carbone et résiliente. Ces leviers concernent tous les systèmes de la Ville
à travers la matière et l’énergie qu’elle nécessite, mais aussi avec des actions visant une meilleure résilience vis-à-vis des changements climatiques. Elle a été développée à partir de travaux passés et actuels de l’Apur. Elle est un ensemble dynamique qui a vocation à s’enrichir régulièrement pour alimenter un PLU Carbone Climat. S’inscrire dans une stratégie Carbone Climat permet de mobiliser l’ensemble des potentiels d’un système urbain et en particulier de réintégrer une dynamique qui s’appuie sur le triptyque social / environnement / territoire.

Optimiser les usages

Multiplier les usages du foncier en imbriquant les fonctions

Dans un contexte de foncier rare, la recherche d’économie d’espace et de mutualisation doit inciter à tirer le meilleur parti de chaque site. Chaque projet doit être envisagé comme un potentiel, une ressource qui doit pouvoir contribuer au fonctionnement de la ville.
Les programmes d’habitat ou d’activités doivent aujourd’hui s’enrichir de fonctions complémentaires, végétalisation, agriculture urbaine, équipements, services urbains, logistique ou production d’énergie, qui chacune contribuent à adapter la ville aux évolutions du climat et aux besoins des habitants.

Le projet de centre de maintenance du tramway T3 a ainsi été l’occasion de requalifier profondément son environnement en améliorant l’offre sportive initiale tout en contribuant à la création de logements étudiants et en pérennisant l’activité portuaire sur le canal de l’Ourcq.

La restructuration et l’aménagement du site des Ateliers Vaugirard par le groupe RATP constituent un autre exemple d’optimisation et d’intégration des surfaces avec la réalisation d’un programme industriel et urbain. Celui-ci comprend le maintien des ateliers restructurés des trains de la ligne 12, 400 logements, des équipements publics, une nouvelle rue et des espaces verts sur les 2,3 ha de l’emprise initiale.

Exploiter le gisement du déjà-là

La ville de demain sera constituée à 90 % de celle qui est déjà là, c’est donc l’usage de ce stock qui devra évoluer. La ville regorge de lieux sous exploités, ou exploités seulement pendant certaines plages horaires ; locaux vacants, parkings, sous-sols, équipements, cours d’école, friches, infrastructures ou espaces publics.

Ateliers Vaugirard (XVe) :
Perspective, vue depuis les Ateliers de Maintenance des Trains
© CHRIST & GANTENBEINCHRIST & GANTENBEIN
– Dominique Lyon Architectes

Ces ressources constituent un gisement important pour répondre aux nouvelles attentes des habitants en minimisant les émissions de carbone. Ainsi l’utilisation des parkings vides plutôt que la création de nouvelles places, la réinvention de nouveaux usages pour les soussols, la reconquête des infrastructures et des espaces publics, la fermeture de voies pour créer des espaces verts, ou l’ouverture plus large des équipements publics, sont autant de leviers à actionner par la mise à disposition d’outils pour faciliter l’animation citoyenne de ces espaces.
Institutions publiques et acteurs de la société civile doivent s’associer pour créer les conditions nécessaires à l’exploitation de ces lieux divers.

Cette optimisation nécessite l’invention de nouveaux dispositifs portés à la fois par la révolution numérique et l’engagement citoyen, proposant une approche résolument centrée sur l’usage et une large ouverture du jeu d’acteurs impliqués dans la conception et la mise en oeuvre des projets.

Le succès des expérimentations engagées depuis plusieurs années au travers d’opérations d’urbanisme temporaire comme par exemple les grands voisins ou le 6B fait apparaître un potentiel d’avenir, tant ces initiatives, extrêmement sobres en moyens, sont génératrices de valeur pour les usagers, les propriétaires et le territoire, en apportant des réponses à des besoins non couverts : location d’espace, espaces festifs, logement de personnes précaires...


Le complexe Ladoumègue, XIXe : un centre sportif, le centre de maintenance et de remisage du T3, 180 logements étudiants, la pérennisation et l’insertion du port Serurier
© ph.guignard@air-images.net


Le 6B, un lieu de travail de culture et
d’échanges autogéré installé dans un ancien bâtiment industriel de 7 000 m², Saint-Denis
© le6b.fr
Cours d’école, rue Dussoubs, IIe © Google

Les Grands Voisins, XIVe, la terrasse
de la Lingerie
© Alexia Lagorce (Yes We Camp)

Végétaliser, désimperméabiliser
Tranchée continue avec bordure, Paris IVe
© Apur

Tranchée continue recueillant les eaux pluviales, Portland © CC by NACTO - NC

La neutralité carbone d’une ville passe par l’adaptation climatique de ses espaces libres et de ses bâtiments afin d’éviter le recours à la climatisation dans le cadre du réchauffement global. Les villes d’aujourd’hui ont hérité de pratiques d’imperméabilisation des espaces publics via l’usage des bitumes et asphaltes dont la conséquence est, entre autres, un stockage de l’énergie solaire le jour et le relargage de cette énergie la nuit engendrant un îlot de chaleur urbain.

Rompre l’intensité carbone de l’espace public

La conception de l’espace public est héritée d’une vision fonctionnelle de la ville. La chaussée bitume est adaptée aux circulations motorisées. Les épaisseurs de matériaux, les différentes sous-couches sont dimensionnées dans cette seule perspective utilitaire. Or, l’enjeu climatique réinterroge cette façon de concevoir l’espace car les matériaux employés sont intenses en carbone puisqu’ils sont des dérivés du pétrole, de plus leur impact climatique nocturne en réchauffant la ville est désastreux. Enfin le nécessaire recours à une maintenance régulière en fait des matériaux non pérennes, rapidement obsolètes. Des alternatives peuvent être envisagées et surtout réinventées. L’emploi de matériaux pérennes comme les pavés apportent une réponse à l’obsolescence des matériaux employés aujourd’hui. Le stabilisé est également un matériau au faible contenu carbone et surtout à la plus-value climatique très intéressante : son incapacité à stocker la chaleur en fait un matériau naturellement frais la nuit.

Désimperméabiliser

L’imperméabilisation des espaces libres conduit au rejet systématique des eaux pluviales dans le réseau d’assainissement. Or l’eau joue un rôle essentiel dans l’adaptation de la Ville au changement climatique. L’évaporation de l’eau permet un rafraîchissement de l’air. Les sols perméables permettent donc d’éviter la surcharge du réseau d’assainissement et favorisent le rafraîchissement urbain. La nécessité de désimperméabiliser la ville est rappelée dans le règlement d’urbanisme via l’article 15. Des structures partiellement perméables comme les pavés enherbés sont également un compromis intéressant entre les contraintes d’usage de l’espace public et la nécessité de prise en compte de la résilience climatique.

Végétaliser

La résilience climatique de la Ville passe également par un rafraîchissement actif de l’espace public. Les végétaux peuvent assurer ce rôle par évaporation de l’eau contenu dans le sol. Ils apportent également de l’ombre sur l’espace public. Toutes les strates végétales apportent une plus-value, les arbres ayant un rôle particulièrement intéressant en journée de par leur capacité d’ombrage.
Ainsi, les essences d’arbres retenues dans les alignements de voirie peuvent désormais être appréciées au regard de leurs qualités climatiques : densité de feuillage assurant un ombrage efficace de l’espace urbain, résistance de l’arbre aux périodes de sécheresse...
La lutte contre l’îlot de chaleur passe par le développement d’une végétalisation diffuse. Les bâtiments peuvent être le support d’une végétalisation verticale des façades et des toits.

Rue Georges Eastmann, XIIIe © Apur


Désimperméabiliser,
là où c'est possible

Végétation diffuse
sur l’espace public
© Apur

Espace planté non connecté,
boulevard Bourdon, Paris IVe
© Apur
Espace planté recueillant les eaux de chaussée, Les 4 000, La Courneuve (93) © Apur

Passeig de Sant Joan, Barcelone © Adria Goula
La végétalisation est relativement développée à Paris puisqu’on recense aujourd’hui environ 30 ha de murs végétaux. L’intérêt de la végétalisation verticale à l’aide de plantes grimpantes, telle la vigne vierge, réside dans la faible empreinte carbone du dispositif. La plante ne nécessite presque pas d’entretien, à part une taille bi annuelle pour prévenir les débordements en toiture, et elle apporte un rafraîchissement des espaces adjacents et une humidification de l’air.

Mutualiser à toutes les échelles, du bâti au quartier

Paris est une ville dense et mixte. Tirer parti de cette spécificité en dépassant les limites - propriété, parcelle - et les freins juridiques et techniques inhérents constitue une opportunité pour mutualiser à tous les étages.

Source : DGFip 2011

Quand certains immeubles se chauffent, d’autres ont besoin d’être refroidis. Ces besoins se rencontrent en mi-saison et en hiver quand certains bâtiments, les immeubles ressources - grands magasins, immeubles de bureaux - climatisent alors que leurs voisins utilisent le chauffage. La création de boucles locales d’énergie, des réseaux de faible dimension, permettra d’échanger l’énergie entre ces différents types de bâtiments.

Renforcer la solidarité entre bâti neuf et stock

La création d’un bâtiment pourrait être une opportunité pour servir et améliorer son environnement en mettant à disposition de ses voisins un apport spécifique : exploitation de ressources ÉnR & R, tête de pont d’une boucle locale d’énergie...

Profiter de l’effet de masse

Les Zones de Rénovation Concertée pourront faciliter le regroupement de plusieurs immeubles ou copropriétés qui souhaitent lancer des opérations de réhabilitation afin d’en mutualiser les moyens et d’en limiter le coût ; mais aussi à l’échelle micro en facilitant l’empiétement sur l’espace privé de la parcelle voisine pour réaliser une isolation thermique extérieure.

CORDEES, Clichy-Batignolles (XVIIe)

La ZAC de Clichy-Batignolles repose en grande partie sur l’exploitation d’ÉnR : un puit géothermique dans l’Albien permet d’alimenter en chaleur une boucle d’eau chaude à hauteur de 85 %, et 35 000 m² de panneaux solaires photovoltaïques complètent le dispositif. Le projet CORDEES vise à travers la mise en place et le pilotage d’un réseau énergétique intelligent - smart-grid - à tendre vers un bilan carbone neutre en rapprochant performances réelles et théoriques. En plus du volet technique, ce projet intègre un volet humain essentiel afi n entre autres de sensibiliser les publics spécifiques. Cela se traduit par la mise en place d’une plateforme accessible aux utilisateurs du quartier pour piloter en temps réel productions et consommations.

Vers le TÉGPOS, Nanterre (92)

Le quartier Hoche à Nanterre - 635 logements BBC alimentés par une chaufferie biomasse bois-gaz - a été le lieu d’une initiative originale sur le plan énergétique : le réseau de chaleur alimenté par la chaufferie biomasse permet d’alimenter en eau chaude sanitaire et en chauffage les logements de l’éco-quartier mais aussi les 916 logements sociaux de la Cité Komarov voisine. Cette externalisation de l’énergie produite permet d’améliorer la dimension environnementale du territoire dans son ensemble. Cet exemple montre l’intérêt de passer de l’échelle du bâtiment - BÉPOS - ou de l’opération à celle du territoire : TÉGPOS, Territoire à Énergie Globale Positive.

Le quartier Hoche et la Cité Komarov à Nanterre (92), un exemple de solidarité territoriale © Franck Boutté Consultants

La ZAC de Clichy-Batignolles (XVIIe)


autour de son jardin © ph.guignard@air-images.net

Au sein des travaux exploratoires Paris 2050 mené à l’Apur, l’Îlot République
(XIe arrondissement) illustre d’autres types de mutualisation possible avec des échanges de chaleur/fraîcheur entre programmes, des partages de toitures végétalisées rendues
accessibles, de production d’énergie, une mutualisation des sous-sols...
Vers un PLU Carbone Climat

Le Plan d’Occupation des Sols de 1977 était un document privilégiant la forme urbaine (zonages et gabarits). Le Plan Local d’Urbanisme de 2006 cherchait à corriger les déséquilibres entre l’Est et l’Ouest parisien. La récente modification du PLU de juillet 2016 a permis avec l’article 15 d’intégrer des dispositions à caractère environnemental pour mieux prendre en compte la transition énergétique, traductions réglementaires de documents tels que le Plan Climat Air Énergie, le plan Biodiversité ou encore le plan Paris Pluie, récemment adoptés.

Un PLU Carbone-Climat (PLUCC) pourrait permettre d’ancrer plus fortement les objectifs climatiques, énergétiques, et de neutralité carbone et tous les leviers qui permettront de les atteindre : réemploi, recyclage, réhabilitations thermiques, utilisation de matériaux bas carbone, exploitation des ressources énergétiques locales, mutualisation, stockage de carbone, mais aussi les autres thèmes qui n’ont pas ou peu été développés dans ce document comme l’essor de mobilité bas carbone, de circuits économiques courts, d’agriculture urbaine, etc. L’ensemble des éléments présentés sous le vocable Grammaire ne constitue pas une liste exhaustive. C’est un premier pas qui illustre ce qui est déjà engagé, et suggère une articulation avec les documents d’urbanisme régulateurs.

L’urgence d’agir, d’orienter les modes de fabrique de la ville et faire de Paris une ville neutre en carbone et résiliente implique de renforcer davantage le cadre réglementaire dans cette direction et d’intégrer pleinement dans les choix de planification les enjeux et impacts en terme de climat et de carbone, thèmes qui se surimposent à tous les autres en les conditionnant.




Vers un PLU Carbone-climat

Éléments de grammaire
pour une ville neutre et résiliente
Source : APUR


. Grammaire pour une ville neutre en carbone et résiliente
........Observatoire de la ville durable

  Le troisième Plan Climat Air Énergie de Paris, adopté le 21 mars 2018, vise à faire de Paris une ville neutre en carbone d’ici 2050. L’Apur, qui travaille sur les thématiques environnementales depuis le début des années 2000 a souhaité à partir de ses travaux sur le cadre bâti, l’énergie, l’eau, le climat, les nouveaux modes de fabrique de la ville, dresser des éléments de grammaire pour contribuer à l’atteinte de cet objectif. Tirer parti au maximum de l’existant, massifier la réhabilitation des bâtiments, privilégier les matériaux bas carbone, exploiter les ressources locales, optimiser chaque m², végétaliser et valoriser le cycle de l’eau, et mutualiser constituent les 7 grands chapitres de cette grammaire. Autant de possibilités pour accompagner l’élargissement nécessaire des documents réglementaires vers un cadre carbone climat.


L’Apur, Atelier parisien d’urbanisme, est une association loi 1901 qui réunit autour de ses membres fondateurs,
la Ville de Paris et l’État, les acteurs de la Métropole du Grand Paris.

Grammaire pour une ville neutre en carbone et résiliente
Directrice de la publication : Dominique Alba
Étude réalisée par : Paul Baroin, Julien Bigorgne, Olivier Richard
Sous la direction de : Paul Baroin et Olivier Richard
Cartographie et traitement statistique : Apur

apur.org