La
graine, un système d'une rare complexité
À
l’Inra, le laboratoire reproduction et développement
des plantes s’intéresse à la façon
dont les plantes se forment et se développent. Les chercheurs
étudient notamment la formations des graines et les interactions
moléculaires, hormonales et génétiques,
qu’entretiennent les trois compartiments de la graine.
Et si les connaissances progressent, bien des secrets restent
à découvrir, tant ce petit organisme se révèle
complexe... et surprenant. Ainsi, contrairement aux animaux,
la graine est le produit d’une double fécondation.
Lorsque le grain de pollen - mâle - descend le long du
pistil, la cellule reproductrice qu’il contient se divise
en deux cellules spermatiques : cellule reproductrice mâle.
L’une va fusionner avec une première cellule reproductrice
femelle, et donner naissance à l’embryon, tandis
que l’autre fusionnera avec une seconde cellule reproductrice
femelle pour constituer l’albumen. Pour se développer,
l’embryon va ensuite dévorer petit à petit
l’albumen qui constitue un réservoir de substances
nutritives. Albumen qui, rappelons-le, provient de l’une
des deux cellules spermatiques. Oui, l’embryon dévore
son petit frère ! Mais suivant les plantes, le processus
prend plus ou moins de temps. Ainsi, si vous pressez un grain
de maïs, vous y trouverez un petit point blanc. C’est
l’embryon, enveloppé par l’albumen, lui-même
enveloppé par le tissu maternel, à la manière
des poupées russes. Ce n’est qu’une fois
en terre, que l’embryon poursuivra son repas pour puiser
l’énergie nécessaire à la germination.
À présent, décortiquez un petit pois :
vous n’y trouverez que l’embryon qui a déjà
consommé tout l’albumen. Deux graines, deux processus
différents dans la gestion des ressources nutritives.
Vous ne regarderez plus votre plat de lentilles de la même
façon !
Les
plantes de service, de précieux auxiliaires de culture
Les
pucerons sont des nez sur pattes ! Leurs récepteurs olfactifs
sont capables de reconnaître avec une grande précision
les composés volatils émis par leurs plantes préférées.
Mais si certaines odeurs les attirent irrésistiblement,
d’autres en revanche les font fuir ou perturbent leur
comportement. Une sélectivité que les chercheurs
s’attachent à mieux comprendre afin de l’exploiter
dans une approche de biocontrôle. Notamment en s’appuyant
sur les plantes de service. Les jardiniers connaissent de longue
date l’action répulsive des œillets d’Inde
installés à proximité des pieds de tomates.
D’autres végétaux attirent au contraire
le ravageur et le détournent de la plante cultivée,
qu’il colonise en temps normal. Enfin, certaines plantes
attirent les ennemis naturels du puceron et contribuent ainsi
à son élimination. Identifier les composés
volatils, impliqués dans cette modification du comportement
des insectes, est une étape essentielle, préalable
à la sélection de plantes de service. Et ça
n’a rien d’évident car le puceron est, dans
ce domaine, particulièrement tatillon. Il ne suffit pas
de lui proposer le mélange d’odeurs auxquelles
il paraît sensible pour déclencher une réaction.
Encore faut-il les lui présenter dans les bonnes concentrations
et proportions. C’est pour cette raison que les chercheurs
testent un à un chaque composé volatil afin de
trouver la bonne recette du cocktail qui déclenchera,
à coup sûr, l’attraction ou la fuite du puceron,
selon l’effet recherché. Leur but ultime ? Parvenir
à modifier le profil des composés volatils émis
par les plantes de service, par exemple en jouant sur le choix
du génotype, la fertilisation, ou l’irrigation,
de manière à optimiser leur efficacité.
Avec toute la prudence qui s’impose, car il n’est
pas question de privilégier une plante qui perturberait
les auxiliaires de culture présents dans la parcelle,
à commencer par les prédateurs naturels des pucerons.
Sans oublier que pour s’imposer, ces plantes doivent aussi
rester simples à entretenir et ne pas représenter
une contrainte supplémentaire pour l’agriculteur.
Mais le jeu en vaut la chandelle, tant les plantes de services
peuvent constituer une alternative efficace et durable aux produits
phytosanitaires.
Ce
que voient les plantes
Les
plantes perçoivent les différentes couleurs qui
composent la lumière. Non seulement elles les voient
mais elles les interprètent et les emploient de manière
différenciée, en fonction de besoins qui vont
bien au-delà de la seule captation de l’énergie
via la photosynthèse. Ainsi, la composition spectrale
de la lumière affecte leur croissance, la forme et la
taille de leurs ramifications, ou encore la longueur ou l’épaisseur
de leurs feuilles. C’est ce que l’on nomme la photomorphogenèse.
Mais le plus stupéfiant est à venir. Une plante
voit son environnement proche. Vous avez bien lu. Grâce
à l’analyse de la composition spectrale de la lumière
réfléchie par les formes alentour, elle sait,
dès sa sortie de terre, combien de plantes l’entourent
et à quelle distance elles se trouvent. Si la compétition
pour la lumière s’annonce âpre, elle va modifier
son comportement de croissance pour capter le maximum d’énergie
et éviter de se retrouver à l’ombre de ses
congénères. Afin d’étudier ce comportement,
une équipe de l’Inra a développé
un dispositif expérimental permettant d’analyser,
en conditions réelles, la compétition d’une
plante pour la lumière, dans différents types
de couverts végétaux et à tous les stades
de sa croissance. Ces informations permettront de développer
un modèle mathématique capable de simuler les
interactions entre végétaux d’une même
espèce, ou cultivés en association. Et à
terme, d’identifier les individus les mieux adaptés
à un type de culture. Par exemple le fourrage, où,
en raison de la densité du semis, la compétition
s’avère très importante et conduit fréquemment
à la disparition d’espèces inadaptées,
ou tout au moins à une baisse de la quantité et
de la qualité des récoltes.
Les
plantes interagissent... et c'est formidable
Les
recherches sur la génétique monopolisent un grand
nombre de chercheurs de l’Inra. Mais ce n’est que
depuis cinq ans, qu’une équipe étudie spécifiquement
les gènes impliqués dans la variation des relations
entre les plantes. Objectif de cet ambitieux programme, comprendre
les mécanismes moléculaires à l’origine
des interactions entre espèces et variétés
similaires ou différentes. Et les premières découvertes
interrogent autant qu’elles étonnent. Ainsi, les
chercheurs ont observé qu’environ 7 % des lignées
génétiques d’une même espèce,
de la plante modèle Arabidopsis, coopèrent entre
elles. Lorsqu’on les plante côte à côte,
elles produisent ensemble jusqu’à trois fois plus
de biomasse que lorsqu’elles poussent seules, alors que,
du fait de leur proximité, elles disposent de moitié
moins de ressources. Comment s’opère cette interaction
? Communiquent-elles via des signaux émis par les feuilles
ou le réseau racinaire ? C’est un mystère,
que les chercheurs vont s’efforcer de résoudre.
Parce qu’il n’est pas difficile d’imaginer
ce que donneraient ces interactions appliquées à
des variétés d’intérêt agronomique
! Une autre découverte concerne cette fois les plantes
adventices. Responsables de pertes de rendement supérieures
à celles que causent les bactéries, les champignons
ou les insectes ravageurs, elles concentrent 70 % des pesticides
utilisés en agriculture. Or, en étudiant Arabidopsis,
les chercheurs ont découvert des gènes qui permettent
aux plantes qui les expriment de produire jusqu’à
50 % de graines en plus en présence d’une espèce
adventice, avant que cette dernière ne soit éliminée
! Là encore, on ne sait pas comment ça marche,
mais comment ne pas être séduit à la perspective
de transformer les adventices en plantes de service ?
La
proprioception chez les plantes
Les
plantes perçoivent la forme et la position de leur corps.
Cette proprioception a été mise en évidence
par des chercheurs de l’Inra au cours d’une étonnante
expérience. Ils ont placé de jeunes plantes dans
des supports positionnés à l’horizontale
et les ont fait tourner sur elles-mêmes dans l’obscurité.
Privées de lumière et désorientées
par rapport à la gravité, elles ont pourtant conservé
une posture droite à mesure de leur croissance. Ce qui
signifie qu’elles sont capables de mouvements actifs dans
le but d’adopter la forme recherchée, un peu comme
un homme qui corrige sa posture en permanence et de manière
inconsciente pour conserver sa rectitude. En conditions naturelles,
la plante combine proprioception et perception de l’orientation
par rapport à la gravité pour contrôler
sa posture. C’est cette faculté qui permet au jeune
arbre de se redresser après avoir versé à
la suite d’une tempête. Une aubaine, car avec les
changements climatiques, la fréquence et l’intensité
des épisodes extrêmes vont sans doute augmenter.
Mais il n’y a pas que les arbres qui vont y être
confrontés. Les céréales sont tout aussi
exposées. Peut-être avez-vous déjà
vu des parties de champs de blés versées à
la suite d’un fort coup de vent. Mais saviez-vous que
ce phénomène a entraîné une perte
de 5 à 10 % des rendements au niveau mondial au cours
de ces dix dernières années ? Et pourtant, les
céréales sont aujourd’hui bien moins hautes
que par le passé. Pourrait-on encore réduire leur
taille et donc leur exposition au vent ? Pas sûr, car
plus les organes sont proches du sol, plus ils peuvent être
éclaboussés par de la terre porteuse d’organismes
pathogènes lors de violentes averses. Mais d’autres
pistes sont à l’étude. Et notamment, la
sélection génétique de variétés
capables de percevoir leur exposition au vent et d’adapter
leur résistance. Attention, pas question de tenir à
tout prix, cela demanderait trop d’énergie que
la plante ne consacrerait pas à la production de grains.
Non, les chercheurs souhaitent exploiter aussi la proprioception
du végétal. En cas de tempête, la plante
sacrifiera un fusible, en l’occurrence quelques racines,
afin de se laisser tomber, pour se redresser ensuite activement.
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Photos : Inra/Adobe Stock |
Malin
comme un virus
Les
virus sont des organismes extrêmement simples. Pourtant,
quels trésors d’ingéniosité déploient-ils
pour se multiplier ! La façon dont ils manipulent les plantes
qui les hébergent est si subtile qu’on serait tenté
d’y voir une forme d’intelligence. Il n’en est
rien évidemment. Pas de cerveau chez les virus, mais une
incroyable adaptation au milieu. Qui leur permet notamment de
franchir la distance considérable, à leur échelle
microscopique, qui les sépare de la prochaine plante hôte.
Pour s’y rendre, ils sont contraints d’utiliser un
vecteur, un véhicule en quelque sorte. Et il s’agit
souvent du puceron. Ces petits insectes phytophages sont un cauchemar
pour les agriculteurs et les maraîchers, autant que pour
le jardinier amateur. Et pour cause. Non contents d’affaiblir
les plantes en aspirant leur sève, ils leur transmettent
des virus pathogènes. Et parfois en grand nombre. Ainsi,
le puceron Myzus persicae est impliqué dans la transmission
de plus de 100 espèces de virus ! Mais comment le microscopique
organisme s’y prend-il pour emprunter son moyen de transport
? Eh bien, il commence par l’attirer. On ignore encore précisément
comment il s’y prend, et peut-être utilise-t-il plusieurs
moyens. Mais déjà, les chercheurs ont découvert
que les virus expriment des protéines qui provoquent des
symptômes visibles sur les plantes, tels que l’apparition
de jaunisses, auxquels les pucerons sont sensibles. Mais il y
a plus malin encore. Ils rendent aussi la plante plus appétissante,
peut-être en boostant les composés volatils qu’elle
émet naturellement et en modifiant son goût, afin
que l’insecte consomme assez de sève pour accumuler
la charge virale nécessaire à l’infection
de la prochaine plante ! Dans le cadre d’un nouveau projet
de quatre ans, les chercheurs de l’Inra vont s’attacher
à décortiquer les protéines du virus qui
rendent la plante plus attractive et plus appétissante
pour le puceron. La finalité des recherches consistant
à trouver le moyen de bloquer cette transmission. Des travaux
qui pourraient permettre aux sélectionneurs de privilégier
des variétés de plantes produisant naturellement
moins de ces composés bénéfiques à
la propagation du virus par le puceron. Associées à
des plantes de services attractives, dans une stratégie
de contrôle globale, elles seraient alors plus efficacement
protégées contre les pucerons et les virus qu’ils
véhiculent.
Salmonelle,
une championne de l'infiltration
Les
bactéries intracellulaires sont de minuscules organismes
pleins de ressources. Ainsi, pour pénétrer à
l’intérieur de la cellule de leur hôte, s’y
nourrir et s’y multiplier, elles peuvent exploiter deux
mécanismes. Certaines utilisent une entrée de type
Trigger. À l’aide d’une seringue, elles injectent
des molécules provoquant des sortes de renflements de la
membrane cellulaire qui finissent par englober totalement la bactérie,
conduisant à son internalisation. L’élégance
du processus réside dans le fait qu’en agissant ainsi,
la bactérie ne fait que détourner à son profit
la méthode qu’emploie la cellule pour aller chercher
dans le milieu les composants dont elle se nourrit. Le second
mécanisme, qu’on nomme entrée de type Zipper,
est tout aussi remarquable et n’est pas sans rappeler la
backdoor informatique. La bactérie s’agrippe à
un récepteur de la membrane extérieure qui est prévu
pour être internalisé et faire rentrer des molécules
extérieures, dans un processus de communication entre la
cellule et son environnement. En l’état des connaissances
actuelles, toutes les bactéries intracellulaires n’utilisent
que l’un ou l’autre des mécanismes. Sauf salmonelle.
On pensait depuis une trentaine d’années que cette
bactérie n’exploitait que le Trigger pour pénétrer
la cellule et qu’elle se multipliait dans une vacuole, un
petit compartiment qu’elle modifie pour survivre et se multiplier.
Mais des chercheurs de l’Inra ont découvert que certaines
d’entre elles, comme par hasard les plus virulentes pour
l’homme, pouvaient également exploiter le mécanisme
Zipper. Et très récemment, ils ont montré
que salmonelle disposait de nombreuses molécules, dont
certaines encore à identifier, capables d’induire
ce mécanisme ! Ils s’attachent maintenant à
décrire leurs fonctionnements tout en poursuivant l’étude
du comportement de la bactérie après son internalisation
: comment elle s’installe, se nourrit ou se multiplie...
Très récemment, il a été démontré
que les salmonelles pouvaient non seulement coloniser une vacuole,
mais aussi le cytosol, le liquide où baigne l’essentiel
des composants de la cellule. Des connaissances indispensables
pour comprendre comment la cellule réagit à l’entrée
de la bactérie et quels moyens de défense elle déploie
pour éliminer l’intrus.
La
truffe, précieux champignon symbiotique
Les
plantes ne vivent pas seules. Leurs racines notamment sont en
relation avec des microorganismes, principalement des champignons,
dans une association symbiotique qu’on nomme la mycorhize.
Le mycélium, l’appareil végétatif du
champignon, explore le sol et transmet à la plante l’azote,
le phosphore et l’eau dont elle se nourrit. En échange,
il reçoit les sucres nécessaires à son développement.
On considère qu’entre 80 et 90 % des végétaux
vivent en symbiose avec les champignons. Cela fait des années
que les pépiniéristes tirent profit de cette franche
camaraderie. Ainsi, en associant un champignon au pin Douglas,
ils favorisent la croissance de ce dernier. Et en 1972, l’Inra
a créé les premiers plants de chênes mycorhizés
avec Tuber melanosporum. Eh oui, la truffe du Périgord,
ou truffe noire, est un champignon symbiotique dont l’organe
reproducteur à la forme globuleuse fait le bonheur des
palais délicats, et fortunés. Désormais,
les chercheurs s’attachent à mieux comprendre comment
s’établit et se maintient la symbiose entre une plante
et son champignon. Récemment, ils ont découvert
que les deux organismes se parlent. Lors d’expérimentations
en laboratoire, ils ont observé que le champignon Laccaria
bicolor s’efforce de montrer patte blanche au système
racinaire du peuplier auquel il souhaite s’associer, en
exprimant une molécule qui témoigne de ses bonnes
intentions. La truffe est bien entendu étudiée avec
le même intérêt, dans le but d’améliorer
sa culture. Parce que si l’on sait depuis près de
50 ans comment créer des chênes truffiers, amener
le précieux champignon à maturité est une
affaire délicate. Notamment en raison de son mode de développement.
Contrairement au cèpe par exemple, la truffe noire se forme
dans la terre aux mois de mai-juin et va y demeurer six à
huit mois supplémentaires. Durant cette période,
le champignon est confronté non seulement aux animaux qui
la convoitent, mais aussi aux aléas climatiques. Or, il
est particulièrement sensible aux longues périodes
de sécheresse. Pour cette raison, les chercheurs, en relation
avec les professionnels, étudient dans le cadre du projet
Culturtruf, les moyens d’optimiser la gestion de l’eau
en truffière. Déjà, des capteurs installés
dans le sol ont permis de caractériser la façon
dont les meilleurs trufficulteurs gèrent l’irrigation,
et ainsi de proposer des recommandations générales
pour optimiser les ressources en eau. N’oublions pas que
l’essentiel des truffes du Périgord sont en fait
cultivées dans le sud-est, où les épisodes
caniculaires et les sécheresses tendent à se multiplier
ces dernières années.
La
rouille du peuplier fait fi de toute résistance
Tout
est affaire de compromis. Plus une plante pousse vite et plus
elle est fragile face aux maladies, car elle monopolise une part
importante de son énergie pour croître, plutôt
que pour se défendre. Prenez un groupe de peupliers sauvages,
par exemple. Ces arbres, qui poussent lentement et sont parfois
un peu pliés, s’avèrent totalement inadaptés
à la production de bois. Mais lorsqu’ils sont confrontés
à une épidémie de rouille causée par
le champignon Melampsora larici-populina, ils opposent un bon
niveau de résistance et les dégâts qu’ils
subissent restent modérés. En plus de leur rusticité,
c’est leur diversité génétique qui
contribue à cette résilience. Au contraire, lorsque
ce même champignon frappe une peupleraie, il peut entraîner
un déficit de croissance des arbres qui peut atteindre
60 % sur une année. Et cette fois, des centaines ou des
milliers d’individus peuvent être affectés,
car les arbres d’une peupleraie sont des clones génétiquement
identiques. Ces peupliers sont le fruit d’une sélection
sévère qui a fait d’eux des champions de la
croissance rapide et rectiligne, mais des nains en termes de résistance
aux bioagresseurs. Bien sûr, les généticiens
s’efforcent de sélectionner des variétés
offrant une bonne résistance aux maladies, dont la rouille.
Mais le champignon, dont la survie dépend de sa colonisation
du peuplier, est capable d’évoluer rapidement pour
contourner les défenses mises en place par les sélectionneurs.
Admettons qu’il lui faille dix ans pour faire sauter le
verrou, il lui en restera au moins autant pour profiter de son
hôte devenu accessible. Les chercheurs étudient depuis
de nombreuses années ce champignon pathogène. Après
avoir séquencé son génome en 2011, ils ont
récemment identifié la région qui contient
le gène responsable d’une mutation de la virulence.
À présent, ils s’efforcent de le caractériser
pour comprendre comment le champignon évolue et comment
il parvient à contourner la résistance de son hôte.
Ces travaux pourraient permettre aux généticiens
de créer des variétés offrant une résistance
plus durable. Idéalement, une vingtaine d’années,
l’âge moyen pour l’abattage d’une peupleraie.
Légumineuses
et rhizobium : une symbiose mutaliste
Les
légumineuses constituent une ressource alimentaire aussi
bien pour les hommes que pour les animaux. Mais elles sont également
précieuses pour l’environnement en raison de leur
faculté à fixer l’azote de l’air et
à terme, enrichir le sol en azote. À ce titre, elles
peuvent être assimilées à de l’engrais
vert, ce qui explique leur succès en agriculture biologique.
Mais pas seulement. En conventionnel aussi, les légumineuses
gagnent du terrain. Cultivées en rotation, ou en association
avec d’autres cultures d’intérêt agronomique,
elles permettent de réduire l’usage des intrants
azotés, coûteux et polluants. Les bénéfices
des légumineuses pour la fertilité des sols sont
connus depuis l’Antiquité. Pline l’Ancien indique
ainsi : Une culture de lupin engraisse les champs et les vignes.
Loin d’avoir besoin de fumier, il tient lieu du meilleur
engrais. On sait aujourd’hui que ces bienfaits sont
dus à la symbiose mutualiste entre les légumineuses
et des bactéries du sol nommées rhizobium.
Lorsque celles-ci pénètrent dans le système
racinaire de la plante, elles induisent la formation de nouveaux
organes, les nodosités, dans lesquels elles se multiplient
et se transforment. Elles deviennent alors capables de réduire
l’azote de l’air (N2) en ions ammonium (NH4 +) des
composés assimilables par la plante. En contrepartie, la
plante fournit aux bactéries une niche écologique
et des nutriments nécessaires à leur développement.
Aujourd’hui, les équipes de l’Inra, investies
dans la recherche fondamentale, étudient les interactions
qui s’opèrent entre les deux organismes. Et notamment
les mécanismes impliqués dans la symbiose tels que
la production de molécules de reconnaissance par la bactérie
pour s’identifier auprès de la plante, et peut-être
se faire accepter : on sait ainsi que tous les rhizobiums n’interagissent
pas avec toutes les légumineuses. Les scientifiques étudient
aussi les changements qui s’opèrent au sein de la
plante pour accueillir la bactérie, en particulier la formation
des nodosités racinaires. Ils s’intéressent
également aux programmes génétiques que met
en place le rhizobium une fois dans la nodosité, notamment
pour parvenir à réduire l’azote en ammoniaque,
un processus qui demande énormément d’énergie.
La
chenille, sensible aux odeurs
La
noctuelle du coton, Spodoptera littoralis, est un papillon de
nuit embarrassant. Sa chenille plutôt, qui cause des dommages
très importants aux cultures de coton, maïs, tomates
et légumes. L’un des moyens envisagés pour
réduire sa nuisance consiste à développer
des pièges à base de phéromones mimant l’odeur
émise par les femelles adultes, de manière à
capturer les mâles avant l’accouplement. Mais dans
le cadre d’une stratégie de contrôle globale,
il est nécessaire de cibler l’insecte à tous
les stades de son développement. À commencer par
la chenille. Mais comment savoir ce qui l’attire ? Eh bien
ses antennes, bien que toutes petites, possèdent des récepteurs
olfactifs, ce qui signifie qu’elle peut, a priori, reconnaître
certaines odeurs. Reste à savoir lesquelles, et c’est
là que les difficultés commencent. Pas question
de faire sentir des milliers de parfums aux chenilles vivantes
pour identifier celles qui déclenchent une réaction,
cela prendrait un temps fou ! Pour pallier cette difficulté,
les chercheurs ont opté pour l’option inverse : partir
des récepteurs olfactifs eux-mêmes. En scrutant les
informations génétiques de la chenille, ils ont
pu établir l’inventaire de ses récepteurs.
Puis, ils les ont isolés pour mieux les étudier
et tester sur eux tout un panel d’odeurs, bien plus rapidement
que ce qu’il est possible de faire en étudiant le
comportement. Et ça a marché. Le dispositif a permis
d’identifier neuf odorants, qui ont immanquablement attiré
les chenilles, vivantes cette fois ! L’expérience
démontre que, contrairement à une idée reçue,
elles sont capables de faire des choix et de privilégier
une odeur plutôt qu’une autre. Ce qui signifie qu’on
peut les piéger comme on piège les adultes. Mais
les recherches ne sont pas terminées pour autant. La prochaine
étape consiste à identifier, par des modèles
mathématiques, des déclinaisons des odeurs sélectionnées,
encore plus appétissantes que les originales, de manière
à améliorer l’efficacité du leurre.
Par exemple, pour attirer des chenilles déjà installées
sur leur plante de prédilection.
Quand
l'abeille se rebiffe
Varroa
destructor : on dirait le nom d’un super vilain de
comic book ! Ce n’est pas loin de la vérité,
tant ce minuscule acarien, pas plus gros qu’une tête
d’épingle, constitue l’un des pires fléaux
pour les abeilles domestiques (Apis mellifera). Originaire
d’Asie du Sud-Est, le varroa, arrivé en France en
1982, parasite aussi bien les larves que les nymphes ou les abeilles
adultes. À ce titre, le varroa est l’un des responsables
de la diminution des populations d’abeilles en France et
dans le monde. Mais, si le prédateur est présent
dans toutes les colonies, certaines se révèlent
naturellement résistantes. Pourquoi ? Eh bien parce que
leurs abeilles sont capables de repérer les cellules de
la ruche qui sont infestées et de tuer les acariens qui
s’y trouvent. Et voilà ce qu’a découvert
une équipe de l’Inra, à l’issue d’un
programme de phénotypage de nombreuses colonies résistantes.
Après avoir isolé le caractère impliqué
dans la détection du varroa, ils ont identifié les
molécules qui déclenchent l’agressivité
de l’abeille à son encontre. Un brevet a été
déposé, portant sur le développement d’un
dispositif permettant aux apiculteurs de repérer très
simplement quelles colonies sont résistantes au varroa,
et leur permettre ainsi de les sélectionner sur ce caractère.
Le
sens du sacrifice
Décidément,
les abeilles ne sont pas à la fête. Déjà
affaiblies par les néonicotinoïdes et le varroa, elles
sont également menacées par un champignon microscopique
originaire d’Asie. Problématique tout au long de
l’année, c’est surtout en hiver que Nosema
ceranae cause le plus de dommages. En effet, après avoir
colonisé les cellules intestinales de son hôte, il
dispose de beaucoup de temps pour s’y multiplier et se propager.
Les abeilles et la reine sont d’autant plus vulnérables
que le champignon semble interagir avec certains pesticides, augmentant
leur toxicité. Les ouvrières, infestées par
le parasite, présentent en outre des modifications du comportement,
passant plus rapidement que prévu au stade de butineuses.
Il pourrait s’agir d’une modification induite par
Nosema ceranae qui profiterait de l’envol précoce
de l’abeille pour aller contaminer d’autres colonies.
Mais là encore, des moyens de lutte se dessinent, basés
sur l’analyse de colonies résistantes. Alors que
le champignon manipule les cellules intestinales afin d’empêcher
leur mort, de manière à s’y multiplier durablement,
certaines abeilles interrompent ce processus en sacrifiant les
cellules contaminées, éliminant l’intrus du
même coup. Reste maintenant à identifier les caractères
responsables de cet étonnant processus...
Les
molécules de la parole
Les
plantes sont de grandes bavardes. Et les chercheurs commencent
à peine à décrypter les conversations incessantes
qu’elles entretiennent avec leur environnement. De ce point
de vue, les plantes aquatiques restent les plus mystérieuses.
Pour comprendre de quoi elles parlent, il convient en effet de
les observer dans leur milieu naturel. Mais alors, que d’interactions
avec les plantes alentour, les insectes et bien sûr les
millions de microorganismes présents dans le milieu, qu’ils
soient symbiotiques, opportunistes, parasites ou pathogènes.
Pour communiquer, les plantes, y compris le phytoplancton, diffusent
en permanence un grand nombre de molécules chimiques dont
certaines sont propres à une espèce. Toutes ces
molécules vont participer à sa défense, ces
autres vont attirer d’autres organismes planctoniques, ou
entretenir le dialogue avec des champignons symbiotiques. Mais
toutes ne s’expriment pas en même temps. Les chercheurs
ont ainsi découvert que les plantes coévoluent avec
leur environnement et modifient leur communication pour s’adapter
aux changements. En outre, certaines molécules ne sont
émises que dans des circonstances précises, ou en
présence d’autres organismes bien particuliers, qu’il
s’agisse de végétaux, d’animaux ou de
microbes. Une raison de plus pour préserver la biodiversité,
gage d’un formidable réservoir de molécules
naturelles. D’autant qu’un grand nombre d’entre
elles peuvent se révéler utiles à l’homme.
Déjà, certaines montrent des propriétés
antioxydantes, antifongiques ou anticancéreuses. Et des
travaux sont en cours pour développer des biopesticides
comme alternative aux produits phytosanitaires. Mais ce n’est
que le début, car si les chercheurs ont identifié
deux cent mille molécules, toutes plantes confondues, ils
estiment qu’elles pourraient être dix, voire cent
fois plus nombreuses !
Le
verger rond de Gotheron
Produire
des fruits avec zéro pesticide, voilà l’ambitieux
défi que se sont fixés les chercheurs de l’Inra
Gotheron (Drôme) impliqués dans le Projet Z. La méthode
utilisée pour y parvenir repose sur l’organisation
spatiale des plantes dans l’espace de production, pensée
pour limiter l’arrivée, la progression, l’installation
et l’impact des bioagresseurs. Première surprise,
le verger de 1.5 hectare est rond, une forme choisie pour limiter
la surface d’échange avec l’extérieur.
Il est cerné par une double haie de 500 mètres de
long, notamment constituée d’amandiers et de châtaigniers
qui, en plus de son effet brise-vent, est conçue pour retarder
la progression des ravageurs. Et en éliminer une partie,
puisque des nichoirs à mésanges, des perchoirs à
rapaces et des tas de pierre pour accueillir les belettes sont
installés le long de cette première barrière.
Les bioagresseurs qui la franchissent parviennent à un
rang circulaire de pommiers qui jouent le rôle de piège
en retenant les pucerons attirés par ce fruit. Les rescapés
sont ensuite confrontés à une autre barrière,
constituée d’arbres fruitiers variés. Notamment
des espèces prospectives telles que la grenade, étudiées
dans le contexte du changement climatique. Ce dernier cercle doit
protéger les pommiers, pêchers, pruniers et abricotiers
situés sur les rangs intérieurs où se concentre
l’essentiel de l’espace de production. Les variétés
ont été choisies pour leur résistance naturelle
aux maladies. Dans cette zone, des plantes attractives et répulsives
seront bientôt plantées à intervalles réguliers
afin de piéger les insectes qui parviendraient à
franchir les obstacles précédents. Des légumineuses
sont aussi présentes, qui assureront la fertilité
du sol. Enfin, le centre du verger est constitué d’une
mare et d’une zone semi-sauvage qui constituent un précieux
réservoir de biodiversité fonctionnelle. Le verger,
qui vient d’être conçu, arrivera à maturité
dans cinq ans et sera évalué durant au moins dix
ans supplémentaires. Durant tout ce temps, les chercheurs
vont contrôler l’impact de l’agencement spatial
dans la maîtrise des bioagresseurs et produire des connaissances
sur la façon de construire un tel système. Il est
en effet probable que des modifications de l’organisation
du verger soient nécessaires afin d’optimiser l’efficacité
de l’ensemble des dispositifs. |
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