Le
programme de recherche PIREN-Seine fait se rencontrer les chercheurs de
diverses disciplines - une centaine de personnes appartenant à
une vingtaine d’équipes - et les acteurs qui ont en charge
la gestion des ressources en eau - une dizaine d’organismes publics
et privés - dans cet espace de 75 000 km² constituant le bassin
hydrographique de la Seine. Le Programme analyse différents aspects
du fonctionnement du bassin de la Seine et de ses grands affluents, soit
75 % du territoire d’intervention de l’Agence de l’eau
Seine-Normandie. Le bassin de la Seine est l’un des bassins européens
les plus marqués par la présence de l’homme, en raison
de la présence et du développement de l’agglomération
parisienne autour de laquelle se focalisent de nombreux enjeux socio-économiques.
Les poissons, en tant qu’organismes vivants peuplant le réseau
hydrographique, ont subi l’impact de l’anthropisation*
: la faune piscicole qui peuple le bassin de la Seine aujourd’hui
résulte de cette histoire intimement liée à celle
des activités humaines. Elle a toutefois, antérieurement,
été modelée par les évolutions climatiques
successives, qui lui ont conféré une origine biogéographique
commune à l’ensemble de la faune de poissons d’eau
douce d’Europe.
Anthropisation*
: Processus
de transformation qui résulte de l’action de l’homme
|
Le
peuplement piscicole du bassin de la Seine résulte de
la conjonction d’un ensemble complexe de facteurs naturels
et anthropiques.
Ceux-ci
déterminent aussi bien le nombre d’espèces,
que leur répartition et leur typologie.
L’importance
des variations constatées au XXe siècle - qu’il
s’agisse de la disparition d’espèces migratrices
ou ensuite de la reconquête naturelle du bassin de la
Seine par d’autres suite à la réduction
de la pollution en aval - démontre combien la faune piscicole
est sensible aux variations intervenant sur les habitats.
Il est donc important de bien identifier quels sont les facteurs
régissant la répartition des poissons, en fonction
des préférences écologiques des différentes
espèces.
En ce qui concerne les facteurs naturels, sont notamment mis
en évidence, dans le présent fascicule, les variations
en fonction de l’axe longitudinal, l’impact de la
nature géologique des sols, l’influence de la répartition
des habitats et de leur accessibilité. Mais des facteurs
propres à l’intervention de l’homme expliquent
les spécificités du bassin de la Seine.
Différents
outils permettent de mener des analyses précises. En
utilisant des outils de modélisation, il est possible
de mieux appréhender les liens existant entre les caractéristiques
des milieux et la répartition des poissons. L’objectif
est ainsi de pouvoir prédire le développement
ou la disparition d’espèces en fonction de l’évolution
des facteurs liés à l’action de l’homme.
Les
effets résultant des aménagements liés
à la chenalisation de la Seine, les conséquences
de la pollution dans les zones marquées par l’anthropisation,
l’impact de la disparition des zones humides périfluviales
naturelles, sont ainsi clairement établis. De la même
manière, les effets de la variation des débits
résultant notamment des barrages-réservoirs doivent
être étudiés pour identifier les espèces
qui subiront les effets positivement ou négativement.
L’étude
des interactions existant entre les habitats du bassin de la
Seine et les actions menées par l’homme, doit ainsi
permettre d’intégrer dans les décisions
de gestion du bassin de la Seine, la réflexion de leurs
impacts potentiels sur le peuplement piscicole.
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L’état
de la faune piscicole du bassin de la Seine |
L’ensemble
du bassin de la Seine abrite aujourd’hui une faune estimée
à 52 espèces de poissons d’eau douce. Mais
cette situation n’est pas figée : la composition
de la faune actuelle est le fruit d’une histoire complexe
qui mélange à la fois des processus biogéographiques
anciens liés au passé géologique et climatique
de l’Europe, et des phénomènes plus récents
liés à l’impact de l’homme sur les
cours d’eau et les espèces piscicoles elles-mêmes.
Une
faune naturellement pauvre en espèces suite aux périodes
de glaciation
À
la fin de l’ère tertiaire et durant l’ensemble
du Quaternaire - -2 millions d’années -, le continent
européen a subi une succession d’épisodes
glaciaires qui ont fortement marqué la faune piscicole.
Les
phases glaciaires ont profondément bouleversé
la distribution des espèces en entraînant un déplacement
de leur aire de répartition autour de zones refuges au
climat plus clément, généralement situées
au sud du continent.
Contrairement
à la plupart des espèces terrestres relativement
peu contraintes dans leurs déplacements, l’effet
de ces phénomènes sur la faune de poissons d’eau
douce a été d’autant plus fort qu’elles
sont incapables de circuler en dehors des limites imposées
par le réseau hydrographique.
Carte
actuelle des principaux fleuves européens
étendue approximative des glaciers permanents lors de
la dernière glaciation et situation du refuge glaciaire
Ponto-caspien à partir duquel les poissons d’eau
douce ont pu recoloniser les bassins nord et ouest européens.
Leurs
possibilités de retrait vers les zones refuges sont donc
étroitement dépendantes des rares possibilités
de connexions entre bassins.
>
De nombreuses espèces parmi les plus thermophiles encore
présentes en Europe à la fin du Tertiaire ont
définitivement disparu du continent.
Pour
l’ensemble de l’Europe - à l’exception
notable des péninsules méditerranéennes
-, les chances de survie des poissons d’eau douce étaient
plus importantes dans le bassin du Danube - notamment, le Danube
moyen et aval - en raison des conditions climatiques régnant
durant cette période.
C’est
pourquoi, ce bassin a constitué leur principal refuge
à partir duquel les processus de colonisation vers l’ouest
et le nord de l’Europe se sont déroulés
lors des phases interglaciaires, quand les conditions de vie
redevenaient favorables pour les espèces les plus thermophiles.
>
On constate un appauvrissement graduel de la faune piscicole
de l’est vers l’ouest et le nord de l’Europe.
La Seine située à l’extrémité
occidentale du continent est par conséquent un bassin
naturellement pauvre en espèces.
On
estime que la faune originelle du bassin de la Seine se composait
d’une trentaine d’espèces - entre 24 et 33
selon les hypothèses - à comparer avec les 44
espèces autochtones rencontrées sur le bassin
du Rhin, et la centaine naturellement présentes dans
celui du Danube.
Paradoxalement,
si les épisodes glaciaires ont entraîné
un appauvrissement de la faune européenne et une contraction
de l’aire de répartition des espèces, ils
ont aussi, plus ponctuellement, favorisé leur dissémination
entre bassins voisins.
En
effet, les phases glaciaires se sont accompagnées d’une
baisse importante des niveaux des mers, permettant la connexion
entre bassins hydrographiques auparavant isolés entre
eux par le milieu marin. Ainsi lors du dernier épisode
glaciaire - -10 000 ans -, suite à une baisse du niveau
des mers de plusieurs dizaines de mètres, la Seine s’écoulait
à l’emplacement actuel de la Manche où elle
confluait avec des rivières aujourd’hui côtières
du nord-ouest de la France et du sud de l’Angleterre.
>
Les épisodes glaciaires ont favorisé les échanges
faunistiques entre différents ensembles hydrographiques
maintenant isolés par la mer.
Liste
des espèces d’eau douce autochtones et introduites
sur le bassin de la Seine
On distingue des espèces dont le statut d’autochtone
est quasi certain (A) et des espèces autochtones probables
(A*) pour lesquelles la possibilité d’une introduction
par l’homme ne peut pas totalement être exclue.
I : espèce exotique introduite. C : espèce exotique
ayant colonisé le bassin de la Seine à partir
des canaux de navigation trans-bassins.
Une
implantation massive d’espèces exotiques à
partir du XIXe siècle
Très
tôt, l’homme a été en mesure de modifier
la composition de la faune du bassin par le biais d’introductions
volontaires d’espèces nouvelles. Dès le
IXe siècle, sous l’impulsion des communautés
religieuses, se développe une importante activité
de pisciculture d’étangs qui a favorisé
la dissémination de nombreuses espèces piscicoles
entre les différents bassins hydrographiques. Mais l’impact
réel de cette période sur la faune de la Seine
reste aujourd’hui encore mal connu.
C’est
véritablement à partir de la seconde moitié
du XIXe siècle que les implantations d’espèces
nouvelles se multiplient avec l’émergence
d’un véritable engouement pour les essais d’acclimatation
de poissons exotiques, par simple curiosité naturaliste
ou avec un objectif affiché d’amélioration
de la productivité piscicole des eaux douces françaises.
À
cette époque, le phénomène touche essentiellement
des espèces nord-américaines - poisson-chat, perche
soleil, truite arc-en-ciel par exemple - dont l’écologie
et la biologie sont souvent très différentes des
espèces européennes.
Après
une phase de relatif ralentissement entre les deux guerres,
le phénomène reprend à nouveau dans la
seconde moitié du XXe siècle, mais avec des motivations
sensiblement différentes de celles du siècle précédent
: les espèces concernées étaient essentiellement
choisies en fonction de leur intérêt halieutique*
ou aquacole*. Cette seconde vague d’introduction touche
alors essentiellement des espèces d’origine européenne
et asiatique.
En
marge des introductions directes, les aménagements des
hydrosystèmes ont également favorisé, de
manière indirecte, l’installation d’espèces
nouvelles sur le bassin.
Dès
le XVIIe siècle est entreprise la mise en place d’un
réseau de canaux de navigation qui va progressivement
mettre en contact la Seine avec les bassins hydrographiques
voisins, favorisant ainsi les déplacements d’espèces
d’un bassin à un autre. Deux espèces, au
moins, la grémille vers 1800 puis le hotu vers 1860,
ont colonisé le bassin de la Seine en utilisant les canaux
de navigation trans-bassins.
Pour
d’autres espèces, comme le sandre par exemple,
la part entre la colonisation via les canaux d’une part,
et les introductions directes d’autre part, est plus difficile
à établir.
>
À la fin du XXe siècle, 23 espèces nouvelles
s’étaient implantées plus ou moins durablement
sur le bassin du fait des actions directes ou indirectes de
l’homme.
Ce
chiffre apparaît d’autant plus considérable
que la faune originelle du bassin abritait une trentaine d’espèces
seulement. Ce constat mérite néanmoins d’être
nuancé dans la mesure où certains de ces poissons
- truite arc-en-ciel par exemple - ne constituent pas, semble-t-il,
de populations viables : leur maintien sur le bassin dépend
entièrement de l’introduction répétée
de nouveaux individus.
Liste
des espèces migratrices : A : espèce autochtone.
D : espèce disparue.
d : espèce considérée comme disparue à
la fin du XXe siècle et qui semble se réinstaller
naturellement depuis quelques années. I : espèce
exotique introduite.
>
L’implantation d’espèces exotiques sur le
bassin constitue une tendance lourde qui semble s’accélérer
depuis quelques décennies et qui devrait se poursuivre
à l’avenir.
Aujourd’hui,
la plupart des grands bassins européens sont interconnectés
pour les besoins de la navigation commerciale, favorisant ainsi
la progression d’espèces d’origine danubienne
vers l’ouest du continent. Des espèces comme l’aspe
étendent maintenant leur répartition dans le nord-est
de la France via le bassin du Rhin et devraient probablement
s’implanter sur le bassin de la Seine dans les années
à venir.
Parallèlement,
le commerce de poissons de repeuplement, qui reposait initialement
sur une production essentiellement locale, s’est largement
ouvert sur des sources d’approvisionnement issues d’autres
pays européens présentant parfois des faunes piscicoles
assez différentes de la faune française.
Cette
nouvelle situation multiplie fortement les risques d’importation
et d’implantation d’espèces exotiques.
Des
disparitions d’espèces autochtones touchant principalement
les espèces migratrices
Parmi
les espèces autochtones de la Seine, les espèces
migratrices sont celles qui ont donné les signes les
plus précoces et les plus importants de déclin
(tableau ci-dessus).
Dans
la seconde moitié du XIXe siècle, l’aménagement
du fleuve et de ses affluents pour la modernisation de la navigation
commerciale atteint une nouvelle dimension :
-
implantation généralisée de systèmes
barrage-écluse ;
-
canalisation
des derniers secteurs naturels ;
-
augmentation de la ligne d’eau et donc de la hauteur
des barrages.
Pour
les migrateurs, cela va rendre de plus en plus difficile et
aléatoire l’accès aux secteurs de frayères
ou de grossissement situés en amont.
Cette
étape va marquer un coup fatal à plusieurs espèces
qui, malgré quelques tentatives de soutien d’effectif
par réempoissonnement, ne cesseront de décliner
jusqu’à leur extinction définitive.
L’esturgeon,
le saumon et la grande alose disparaissent du bassin au début
du XXe siècle.
L’effet
négatif des obstacles physiques est d’autant plus
marqué sur la Seine, qu’il s’est cumulé
avec l’impact croissant des rejets domestiques et industriels
sur la partie aval du fleuve.
Ainsi,
des espèces comme l’alose feinte ou l’éperlan,
dont les zones de frayères traditionnelles étaient
situées dans la partie estuarienne du fleuve, ont maintenu
des populations beaucoup plus tardivement.
Mais,
elles ont manifestement disparu lorsque la pollution du fleuve
atteint son niveau maximum à la fin des années
1960.
On
considère que 7 espèces migratrices sur les 10
originellement présentes avaient disparu du bassin au
début des années 1990, même si des individus
isolés pouvaient être ponctuellement rencontrés
dans la partie estuarienne du fleuve.
Parmi
les trois espèces présentes, seule l’anguille
était encore largement répartie sur le bassin.
Suite
à l’importante réduction des pollutions
sur la partie aval de la Seine, on assiste à des premiers
signes de reconquête naturelle du bassin par certaines
espèces.
L’éperlan
a, par exemple, amorcé un retour spectaculaire à
partir des années 2000 et constitue maintenant une part
importante des poissons présents en estuaire.
La
truite de mer est régulièrement observée
en aval de Poses et semble se reproduire dans certains affluents
(Andelle).
Des
individus de grande alose et de lamproie marine sont de plus
en plus régulièrement observés, y compris
en dehors de la partie estuarienne du bassin.
Ces
premiers signes de retour des migrateurs sont liés essentiellement
à l’amélioration des conditions physico-chimiques
dans l’estuaire.
Mais
une reconquête plus globale ne peut s’envisager
sans prise en compte des problèmes posés par les
nombreux obstacles à la migration.
Récentes
évolutions suite à l’amélioration
de la qualité de l’eau
Récemment,
le peuplement de poissons de la Seine dans la traversée
de l’agglomération parisienne a évolué
en réponse à l’amélioration de la
qualité physicochimique de l’eau due aux efforts
de dépollution.
En
effet, dans les années 1960, la pollution des eaux de
la Seine atteint un degré tel que plusieurs dizaines
de kilomètres du fleuve - en aval des rejets de l’agglomération
parisienne - étaient pratiquement dépourvus d’oxygène
en période d’étiage, et donc impropres à
la vie piscicole. Seules les espèces de poissons les
plus tolérantes y sont alors observées.
C’est
à partir des années 1970 que d’importants
efforts d’assainissement sont menés, permettant
de réduire cette pollution chronique, au moins par temps
sec.
En
effet, dans les années 1990, les problèmes dus
aux rejets par temps de pluie persistent, notamment lors d’orages
estivaux. On observe des mortalités massives de poissons
en raison de la chute de la teneur en oxygène dissous
de l’eau de la Seine.
Des
équipements d’oxygénation ont depuis été
installés de manière à fournir transitoirement
l’oxygène nécessaire à la survie
des poissons.
>
L’amélioration continue de la qualité physicochimique
de l’eau a entraîné une amélioration
des peuplements de poissons de la Seine dans l’agglomération
parisienne.
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Poisson-chat
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Le
Danube ©
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Esturgeon
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Saumon
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Truite
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Anguille
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La
Seine à Paris ©
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Milieu
annexe naturel ©
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Aquacole*
: Relatif à l’aquaculture.
Halieutique* : Tout ce qui se rapporte à l’activité
de la pêche |
Les
facteurs déterminant la répartition des espèces
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Illustration
de la succession des zones piscicoles de l’amont vers l’aval
des cours d’eau
Ombre
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Barbeau
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Principales régions naturelles du bassin de la
Seine
Compte tenu de la relative homogénéité climatique
du bassin, ces régions naturelles
dépendent étroitement des formations géologiques
affleurant. |
À
l’intérieur du bassin, la répartition des
poissons ne s’établit pas de manière aléatoire.
Elle dépend étroitement des préférences
écologiques des espèces. Les conditions environnementales
locales telles que la température, la vitesse d’écoulement
des eaux et la profondeur, déterminent la répartition
des espèces. Ces conditions locales dépendent elles-mêmes
de facteurs de contrôle plus globaux comme le climat, la
géologie ou la structure du réseau hydrographique.
Il en résulte une structuration des peuplements piscicoles
marquée à la fois par des modifications de l’amont
vers l’aval et des différenciations régionales.
Évolution
longitudinale
La
répartition des espèces de l’amont vers l’aval
des cours d’eau constitue le trait le plus marquant de l’organisation
des peuplements piscicoles de la Seine et son bassin, comme pour
la plupart des systèmes fluviaux.
Celle-ci
est globalement conforme aux modèles établis pour
les cours d’eau européens. Ils conduisent à
l’identification de zones piscicoles qui se succèdent
de l’amont vers l’aval : zones à truite, à
ombre, à barbeau et à brème (figure ci-contre).
Cette
organisation par zones résulte en fait de la
conjonction de deux types de mécanismes :
- en
amont du réseau hydrographique, des processus d’addition
: les espèces présentes dans les plus petits cours
d’eau sont progressivement rejointes par des espèces
supplémentaires ;
- plus
en aval, des processus de remplacement : les espèces
typiques des secteurs amont disparaissent au profit d’espèces
présentes uniquement à l’aval du réseau
hydrographique.
Généralement,
les processus d’addition et de remplacement se traduisent
par une augmentation régulière du nombre d’espèces
rencontrées de l’amont vers l’aval.
Plusieurs
facteurs environnementaux permettent d’expliquer cette augmentation
de la richesse en espèces vers l’aval.
L’instabilité
et l’imprévisibilité des conditions de milieux
des secteurs amont, notamment en termes de débit et de
chimie de l’eau, augmentent les risques d’extinction
des populations.
À
l’inverse, l’augmentation de la stabilité et
de la prévisibilité des milieux vers l’aval
favorise le maintien des populations.
Parallèlement,
on observe, en progressant vers l’aval, une diversification
des habitats disponibles, favorable à la coexistence entre
espèces.
Enfin,
l’accroissement de la profondeur permet l’installation
d’espèces de grande taille qui ne pourraient pas
se maintenir durablement dans les milieux en amont, moins profonds.
Sur
la Seine, le phénomène d’augmentation du nombre
d’espèces de l’amont vers l’aval ne se
vérifie pas dans les faits : dans les secteurs de l’aval,
fortement aménagés et soumis à des pollutions
importantes, les processus d’extinction prennent le pas
sur les processus de remplacement.
Contrairement
aux systèmes fluviaux moins anthropisés, les communautés
piscicoles plus riches se rencontrent dans la partie moyenne du
fleuve.
La
richesse en espèces n’est pas la seule caractéristique
à varier le long du gradient longitudinal.
On constate en effet que, parallèlement, les stratégies
biologiques et écologiques des espèces évoluent.
On
observe en particulier une modification de la structure trophique*
des peuplements : si les espèces consommant des invertébrés
dominent très largement le peuplement des cours d’eau
amont, elles sont progressivement accompagnées puis remplacées
par des espèces aux régimes alimentaires plus variés
: espèces à tendance herbivore, détritivore,
espèces piscivores.
De
même, les stratégies démographiques évoluent
:
- en
amont, dominent les espèces à courte durée
de vie, à faible fécondité mais qui assurent
généralement une protection de leur ponte et/ou
de leur descendance ;
- en
aval apparaissent des espèces longévives*, à
forte fécondité et qui, pour l’essentiel,
ne protègent pas leur ponte.
Variations
régionales résultant des formations géologiques
En
dehors d’une petite partie au sud du bassin correspondant
au massif du Morvan et, dans une moindre mesure, l’extrémité
amont du bassin de l’Oise issu des terrains schisteux des
Ardennes, le bassin de la Seine draine essentiellement les terrains
sédimentaires du Bassin Parisien dont le relief est globalement
peu marqué.
En
dépit d’une homogénéité apparente,
il existe des différences sensibles concernant la nature
géologique des terrains traversés.
Sur
le bassin, les formations géologiques d’âge
décroissant se succèdent de l’est vers le
centre :
-
terrains jurassiques, calcaires ou marneux, en amont du bassin
;
-
terrains du crétacé inférieur argilo-sableux
;
-
terrains du crétacé supérieur dominés
par la craie ;
-
terrains tertiaires de nature plus hétérogène
au centre du bassin (ci-contre).
Ces
différences de nature géologique des terrains traversés
se retrouvent au niveau du fonctionnement et de la morphologie
des cours d’eau eux mêmes.
Il
existe ainsi des différences régionales sensibles
concernant certaines caractéristiques des cours d’eau
comme la pente, la sinuosité ou le régime hydrologique
qui interviennent dans le contrôle de la composition des
communautés de poissons.
À
la structuration longitudinale des peuplements piscicoles évoquée
précédemment se superpose une structuration régionale
conforme à l’organisation des formations géologiques.
Structure
trophique* : Désigne l’ensemble des compartiments
d’un peuplement constitués par diverses catégories
regroupant les organismes vivants selon leurs régimes alimentaires
: invertivores, piscivores, herbivores...
Longévives* : Se dit des espèces
à longue durée de vie |
|
L’ensemble
du bassin de la Seine abrite aujourd’hui 52 espèces
de poissons d’eau douce. Cette faune piscicole résulte
de différents processus naturels, et notamment d’événements
climatiques anciens. Elle est naturellement pauvre en comparaison
avec celles d’autres fleuves européens tels que
le Rhin ou le Danube. Elle est également le résultat
de l’histoire des activités humaines développées
dans le bassin de la Seine.
À
partir du Moyen âge, l’influence de l’homme
sur les cours d’eau s’amplifie et retentit sur les
organismes aquatiques. À la fin du XXe siècle,
23 espèces nouvelles sont recensées dans la faune
piscicole du bassin de la Seine, issues d’actions directes
- introductions volontaires - ou indirectes - modifications
des milieux aquatiques - de l’homme.
Durant
la même période, 7 espèces migratrices sur
les 10 originellement présentes ont disparu du bassin
en raison de l’implantation d’obstacles sur les
principaux cours d’eau, associée à l’impact
croissant de rejets polluants. À partir des années
1970, d’importants efforts de dépollution vont
être consentis pour limiter les rejets polluants et, en
conséquence, améliorer la qualité physicochimique
des eaux.
Carte
de répartition potentielle du chevesne dans les cours
d’eau du bassin de la Seine
Cette carte résulte du modèle d’arbre
de décision élaboré pour cette espèce.
La présence ou l’absence du chevesne est donc la
réponse de l’espèce
à la combinaison des variables d’habitats intégrées
dans ce modèle.
Ainsi,
les espèces de poissons les plus sensibles peuvent reconquérir
progressivement des secteurs entiers de cours d’eau qu’elles
avaient délaissés suite à un niveau de
pollution excessif. L’agglomération parisienne
est très représentative de ce phénomène,
car depuis 1995, le nombre d’espèces peuplant la
Seine augmente, en réponse à l’amélioration
de la collecte et du traitement des rejets d’eaux usées.
Les
espèces de poissons se répartissent différemment
dans le bassin de la Seine. Pour comprendre les facteurs naturels
qui contrôlent cette répartition, il faut développer
des approches à plusieurs échelles, depuis l’échelle
globale du bassin dans son ensemble jusqu’à l’échelle
locale de la station en passant par l’échelle d’un
secteur de cours d’eau.
À
l’échelle globale, la répartition des espèces
évolue selon l’axe longitudinal. En réponse
aux changements d’habitats, le nombre d’espèces
augmente vers l’aval des cours d’eau. La composition
des peuplements de poissons varie également selon cet
axe, des espèces différentes se succédant
et se remplaçant.
À
cette
structuration longitudinale s’associe une structuration
régionale des peuplements de poissons.
La
nature géologique des terrains traversés par les
cours d’eau les façonne, entraînant leur
différenciation régionale. Les peuplements de
poissons répondent naturellement à cette différenciation
régionale par une variation de leur richesse et de leur
composition en espèces.
Toutefois,
ce schéma naturel d’organisation des peuplements
à l’échelle des bassins n’est que
partiellement respecté sur la Seine : les peuplements
de poissons les plus diversifiés sont rencontrés
dans la partie moyenne du fleuve, et non pas à l’aval,
à cause de l’anthropisation excessive dans les
secteurs aval des grands cours d’eau.
À
une échelle plus restreinte, telle l’échelle
de secteurs de cours d’eau, d’autres paramètres
d’habitats influencent la distribution des espèces
de poissons.
En
effet, les espèces de poissons doivent pouvoir non seulement
trouver les habitats vitaux - alimentation, reproduction et
repos - mais aussi y accéder librement.
Une
démarche originale d’analyse spatiale de la structure
des habitats aquatiques, dans un secteur de la plaine alluviale
de la Seine, a permis d’évaluer l’influence
de la distribution spatiale des habitats et de leur connectivité
sur les peuplements locaux de poissons.
Notamment,
une approche comparative entre un secteur naturel et un secteur
aménagé pour la navigation a mis en évidence
les effets négatifs de l’anthropisation : dans
le secteur aménagé, la diminution de la diversité
et de la quantité des habitats vitaux, consécutive
aux aménagements, est défavorable à plusieurs
espèces de poissons.
Localisation
des frayères à brochets potentielles
dans un secteur naturel de la plaine de la Bassée en
fonction de leur distance
À une voie de migration pour (A) un débit de 288
m3/s et (B) un débit de 160 m3/s.
Le taux de réussite du retour des jeunes est mentionné
pour chaque classe de distance
à une voie de migration et sert dans le calcul de la
surface utile de frayères.
Un
travail plus spécifique a été mené
dans les zones humides périfluviales de la Seine. Ces
zones humides sont des milieux importants pour la reproduction
des poissons et leur diversité conditionne le maintien
naturel de la biodiversité piscicole.
Les
paramètres d’habitats locaux liés à
la morphologie de ces milieux sont importants, tout comme leur
connectivité avec les milieux aquatiques environnants.
Les
aménagements de la Seine ont eu pour conséquence
la disparition de ces zones humides naturelles, au profit de
milieux artificiels, créés par l’homme,
tels que les carrières en eau.
Vis-à-vis
des espèces de poissons, et notamment concernant leur
reproduction, ces milieux artificiels ne se substituent pas
aux milieux naturels détruits.
Pour
une espèce comme le brochet, qui affectionne les prairies
inondées pour sa reproduction printanière, l’aménagement
de la Seine pour la navigation signifie la diminution drastique,
voire la disparition de son habitat de reproduction.
Les
peuplements de poissons de la Seine sont donc fortement marqués
par l’influence de l’homme.
Le
développement des connaissances concernant les facteurs
qui régissent leur répartition dans les cours
d’eau et les effets des actions anthropiques s’est
accompagné de l’élaboration d’outils.
Qu’il
s’agisse de modèles de répartition des espèces
à l’échelle du bassin de la Seine, ou de
logiciel d’évaluation de la connectivité
dans les cours d’eau, ces outils sont destinés
à pouvoir généraliser les résultats
des travaux menés, dans un souci d’aide à
la gestion des milieux aquatiques.
Cependant,
si les effets de certains types de pressions anthropiques sont
aujourd’hui clairement identifiés - pollutions
organiques, chenalisation des cours d’eau… -, d’autres
sont en revanche encore largement méconnus. C’est
le cas par exemple des conséquences de la fragmentation
des cours d’eau ou des effets à long terme de la
gestion des débits sur la pérennité des
populations piscicoles.
À
court terme, la poursuite de ces travaux de recherche nécessite
donc d’améliorer les connaissances concernant les
différents types de pressions anthropiques et de leurs
impacts écologiques.
Il
s’agit de mieux connaître également les effets
des interactions : les cours d’eau du bassin sont en effet
généralement l’objet de pressions anthropiques
multiples, n’agissant pas de manière indépendante.
Mais
le véritable enjeu des recherches à venir consiste
sans doute à définir les bases scientifiques des
futurs outils de gestion et de restauration des cours d’eau.
La
mise en œuvre de la directive cadre européenne sur
l’eau et son objectif d’atteinte du bon état
écologique impliquent en effet d’être en
mesure de définir les actions de restauration pertinentes,
de hiérarchiser leur efficacité, d’identifier
la meilleure échelle spatiale de mise en œuvre.
Or, les réponses à ces questions restent aujourd’hui
encore largement ouvertes, en particulier en ce qui concerne
la restauration des communautés vivantes et de poissons.
À
cet égard, une meilleure caractérisation géomorphologique
des cours d’eau du bassin apparaît comme un préalable
essentiel.
Toutefois,
répondre à ces questions ne peut se concevoir
sans tenir compte des évolutions probables des conditions
climatiques et des activités humaines dans les décennies
à venir.
Identifier
les espèces les plus pénalisées par les
futures modifications du climat et des pressions anthropiques
ou, au contraire, celles susceptibles d’étendre
leur aire de répartition, voire même les espèces
nouvelles susceptibles de s’implanter sur le bassin, est
essentiel pour définir une gestion efficace sur le long
terme.
Bras
mort
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Chabot ©
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Un
brochet ©
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L’Agence
de l’eau Seine-Normandie
L’Agence
de l’eau Seine-Normandie est un établissement
public du ministère de l’écologie,
de l’énergie, du Développement durable
et de
l’Aménagement du territoire. Sa mission est
de financer les ouvrages et les actions qui contribuent
à préserver les ressources en eau et lutter
contre
les pollutions, en respectant le développement
des activités économiques. Pour ce faire,
elle perçoit des redevances auprès de l’ensemble
des usagers qu’elle redistribue sous forme d’aides
financières aux collectivités locales, aux
industriels, aux artisans, aux agriculteurs et aux associations
qui entreprennent des actions de protection du milieu
naturel. Ses actions s’expriment à travers
un programme pluriannuel. Les études et recherches
pilotées par l’Agence contribuent à
la gestion équilibrée de la ressource en
eau et de tous les milieux aquatiques. L’Agence
a pour mission, conjointement avec les acteurs de l’eau,
de conduire les eaux du bassin de la Seine vers le bon
état écologique. Partenaire du PIREN-Seine,
l’Agence de l’eau souhaite valoriser l’important
travail accompli et soutenir les recherches futures en
contribuant à la publication de ces travaux.
eau-seine-normandie.fr
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Programme Interdisciplinaire de Recherche
sur l’Environnement de la Seine
Depuis 1989, PIREN-Seine nous aide à mieux comprendre
le fonctionnement du bassin et contribue aux décisions
de l’Agence. Ce programme de recherche a apporté
un éclairage décisif sur la manière
dont les rivières et les zones humides participent
à l’épuration de nos effluents, sur
la nécessité de réduire nos rejets
en phosphore pour limiter l’eutrophisation, sur
l’impact attendu du changement de pratiques culturales
afin de réduire la contamination des eaux par les
nitrates...
Direction du Programme PIREN-Seine
: Jean-Marie Mouchel et Gilles Billen
Auteurs : Jérôme Belliard Guillaume
Gorges, Céline Le Pichon, Évelyne Tales
Contributions : Romuald Berrebi, Philippe Boët,
Olivier Le Double
piren-seine.fr
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