La
faune de papillons
de jour
- Rhopalocères
et Zygènes - d’Île-de-France a subi, ces 50 dernières
années, une régression considérable
dont les causes sont au moins doubles : l’aménagement du
territoire, au détriment des espaces naturels et au profit d’une
agriculture
plus intensive et/ou de l’urbanisation, et les changements climatiques.
Mais à côté de ces facteurs plutôt néfastes,
de vrais efforts ont été
consentis plus particulièrement ces 20 dernières années
par les collectivités territoriales et les gestionnaires d’espaces
naturels pour
en préserver la biodiversité. La situation actuelle de cette
faune est la résultante de ces différents facteurs. Cette
Liste rouge présente
plusieurs caractères inquiétants : environ un quart des
espèces répertoriées dans notre région sont
menacées à des degrés divers
et 13 % ont déjà disparu. Elle présente la synthèse
du travail d’un collège d’experts entomologistes et
méthodologistes - associatifs
ou individuels, la plupart bénévoles - pour apprécier
l’état des menaces qui pèsent sur les papillons d’Île-de-France,
en s’appuyant sur une énorme base de plus de 100 400 données
et un recul de 20 ans.
Présentation
Cette
Liste rouge fournit un état initial qui permettra
de suivre l’évolution des populations de papillons
de jour - Rhopalocères et Zygènes - de la région
lors d’une prochaine révision. À terme,
cette démarche dynamique fournira une estimation des
progrès accomplis et des efforts à poursuivre.
Le bilan qui en découle aujourd’hui constitue également
un outil de sensibilisation, destiné à alerter
un large public sur la nécessité de réagir
pour enrayer ces menaces qui pèsent sur la biodiversité
en général.
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Qu’est-ce
qu’un papillon de jour ?
Les papillons sont parmi les insectes les mieux connus et les
plus appréciés du grand public. Les scientifiques
et les naturalistes les nomment lépidoptères,
ce qui en grec signifie : ailes (-ptères) à
écailles (lépi-). Ainsi, les papillons portent
sur leurs ailes des milliers de petites écailles disposées
les unes à côté des autres, à l’image
des tuiles sur un toit.
Avec
leur rythme d’activité diurne, les papillons
dits de jour forment la face visible de l’iceberg
que constitue l’ordre des lépidoptères.
En effet, dans leur globalité, les lépidoptères
sont très majoritairement nocturnes. À
titre d’exemple, en France, on dénombre 330 espèces
de papillons de jour contre 5 178 espèces de papillons
de nuit .
Parmi
les lépidoptères diurnes, les naturalistes distinguent
deux groupes de papillons : les Rhopalocères et les Zygènes.
Ils ont en commun leurs antennes en forme de massue, leur activité
de butineurs de nectar et leur besoin d’ensoleillement
pour assurer leur reproduction puis leur développement.
Ainsi, Rhopalocères et Zygènes sont les hôtes
privilégiés des habitats naturels ouverts et baignés
de soleil que sont les prairies, les friches et les landes riches
en végétations fleuries.
En
Île-de-France, la dénomination de Rhopalocères
regroupe 7 familles de lépidoptères pour lesquelles
un total de 119 espèces a déjà été
recensé au cours des deux siècles derniers. Les
espèces sont de taille très variable allant de
2 centimètres d’envergure pour les plus petites
(l’Argus frêle - Cupido minimus et l’Azuré
du Thym - Pseudophilotes baton), à quasiment
10 centimètres pour les plus grandes : le Machaon - Papilio
machaon et le grand Sylvain - Limenitis populi.
Les
Zygènes, ou Zygaenidae, sont des papillons plutôt
petits, caractérisés par un vol relativement mou.
Au repos, leurs ailes sont disposées en toit comme les
papillons de nuit. Ils forment une famille à part entière,
au sein de laquelle il est facile de distinguer 2 sous-groupes
d’espèces : les Zygènes vertes
ou Turquoises et les Zygènes rouges,
pour un total de 16 espèces. De par leur coloration,
les Turquoises sont plus discrètes et passent plus facilement
inaperçues que les Zygènes rouges.
Le
terme de papillon désigne avant tout le stade
adulte de ces insectes, dont les larves sont dénommées
chenilles. Phytophages, ces dernières consomment,
selon les espèces, différentes plantes et différentes
parties des plantes : feuilles, tiges, boutons floraux, racines…
Certaines espèces sont fortement liées à
une ou quelques espèces végétales - ce
sont les chenilles dites monophages et oligophages
- et d’autres sont plus généralistes et
se nourrissent donc d’une grande diversité de plantes
: les chenilles sont alors dites polyphages. Puis,
avant de devenir des adultes volants, les papillons subissent
tous une transformation complète, la métamorphose,
qui prend la forme d’un stade immobile appelé chrysalide.
Le papillon adulte, aussi appelé imago, se nourrit
du nectar des fleurs ou de la sève, qui suinte des arbres
par exemple.
Le
passage de l’hiver s’effectue sous différentes
formes en fonction des espèces. Le Point-de-Hongrie (Erynnis
tages) passera l’hiver sous forme de chenille dans
un abri étanche tandis que l’Hespérie de
la Mauve (Pyrgus malvae) le fera sous forme de chrysalide.
Chez certaines espèces, comme le Citron (Gonepteryx
rhamni), c’est l’imago qui passera l’hiver
caché à l’abri du Lierre ou de ronces. C’est
d’ailleurs un des papillons qui aura la durée de
vie la plus longue sous forme adulte. Peu d’espèces
passent l’hiver sous forme d’oeufs, mais c’est
le cas par exemple de la Thècle de l’Yeuse (Satyrium
ilicis).
Sur
un espace donné, la diversité des espèces
de papillons de jour dépend de nombreux facteurs - nature
des sols, diversité végétale, activités
humaines… - et des interactions complexes entre ces facteurs.
La présence d’un grand nombre d’espèces
de papillons de jour est donc généralement révélatrice
d’un milieu riche et fonctionnel. Ainsi, ce groupe d’insectes
est un fabuleux outil vivant, à disposition
de tous, pour estimer la qualité de l’environnement
et son évolution. Considérés comme des
insectes indicateurs prompts à fournir des
informations pertinentes sur l’état de santé
des prairies et des milieux ouverts, les Rhopalocères
et Zygènes sont également utilisés pour
étudier la naturalité des paysages et
les effets des changements climatiques, notamment par l’Agence
européenne de l’environnement. En effet, en Île-de-France
comme ailleurs, leur richesse - nombre d’espèces
-, leur abondance - nombre d’individus - ou au contraire
leur absence constatée dans tel ou tel contexte, révèlent
aux spécialistes les perturbations ou le bon fonctionnement
de notre environnement.
Les
milieux ouverts en Île-de-France
Les milieux ouverts sont caractérisés par une
dominante herbacée avec un taux de recouvrement au sol
de la végétation ligneuse - arbres, arbustes -
inférieur à 25 %. Ce type de végétation
permet aux rayons du soleil d’atteindre en partie ou largement
le sol, entraînant une activation physiologique des papillons
de jour. C’est pour cette raison que ces milieux sont
particulièrement importants pour ces insectes.
En
Île-de-France, comme dans la plupart des régions
de France métropolitaine, les milieux ont tous été
influencés à un moment donné par l’Homme.
Tous sont donc dits artificiels ou semi-naturels.
Les milieux ouverts franciliens sont ainsi principalement liés
aux activités humaines qui ont nécessité
un défrichement de la forêt et une exploitation
agropastorale - fauchage, pâturage, culture… - bloquant
la dynamique spontanée et entretenant l’ouverture
des paysages.
Dans
la région, différents types de milieux ouverts
peuvent être distingués :
-
Les
prairies et pelouses semi-naturelles : ce sont des espaces
dégagés caractérisés par une végétation
basse où poussent graminées et herbacées.
L’évolution naturelle de ces espaces - vers un
milieu fermé et composé de ligneux - est limitée
voire stoppée par le pâturage, la fauche ou encore
par le passage récurrent : piétinement, passage
de véhicules… Cette catégorie regroupe
une diversité de milieux selon la nature des sols et
leur exposition. On parlera par exemple de pelouses calcicoles
sèches ou de prairies marécageuses. Ces prairies
et pelouses semi-naturelles abritent, en Île-de-France,
la plus grande diversité de papillons de jour.
-
Les landes et broussailles : il s’agit d’espaces
où les sols sont couverts de végétaux
ligneux qui diffèrent selon la nature des sols mais
qui restent peu élevés. En Îlede-France,
les landes à bruyères et callunes avec leurs
bosquets de prunelliers, aubépines, genêts accueillent
une diversité de papillons de jour. Les haies constituées
d’essences arbustives indigènes offrent un autre
faciès d’intérêt. Ces espaces peuvent
évoluer naturellement vers un milieu arboré
plus fermé.
-
Les
espaces contigus des milieux arborés - boisements et
forêts - : ce sont les lisières, les allées
et trouées forestières ainsi que les clairières.
Elles sont souvent partiellement ensoleillées. Là
aussi, la nature des sols entraîne une diversité
dans ces espaces. Ces milieux accueillent peu d’espèces
de papillons de jour mais, parmi eux, des espèces à
fort intérêt patrimonial.
-
Les
milieux cultivés : il s’agit autant des champs,
dont ceux en jachère, et des vergers que des potagers.
L’homogénéité sur de grandes surfaces
et la gestion mise en oeuvre - traitements phytosanitaires
en particulier - sont des facteurs fortement limitants pour
les papillons. Certaines cultures favorisent quelques espèces
que l’exploitant peut considérer comme nuisibles
: la Piéride du Chou - Pieris brassicae, la
Piéride de la Rave - Pieris rapae, la Belle-Dame
- Vanessa cardui, le Soucis - Colias crocea,
le Soufré - Colias hyale.
-
Les
parcs, jardins, et friches urbaines : ce sont pour la plupart
de petites superficies contiguës à l’habitat
de l’Homme et aux infrastructures liées à
son activité et qui accueillent toute une diversité
de plantes indigènes et exotiques. Les fleurs offrent
une ressource en nectar favorable à un cortège
d’espèces devenues anthropophiles. En Île-de-France
plus qu’ailleurs, ces jardins représentent une
superficie cumulée importante. Elle permet à
la faune et la flore de se maintenir dans le tissu urbain,
malgré une utilisation encore forte des produits phytosanitaires
dans ces espaces.
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Quatre
exemples de Rhopalocères : la petite Tortue (Aglais
urticae), l’Argus vert (Callophrys rubi),
le Point-de-Hongrie (Erynnis tages) et la Piéride
de la Moutarde (Leptidea sinapis).
© André LANTZ & Jean-Pierre DELAPRÉ
Deux
exemples de Zygènes : la Zygène du Sainfoin (Zygaena
carniolica) à gauche et le Procris du Prunier (Rhagades
pruni) à droite. © Maxime ZUCCA
& Axel DEHALLEUX
Schéma
du cycle de vie des papillons. © Florence
MERLET - Opie
Paysage
du Sud de l’Essonne - Site Natura 2000 des Pelouses calcaires
de la Haute Vallée de la Juine - incluant plusieurs milieux
ouverts, dont des pelouses calcaires relictuelles entretenues
par le pâturage. © Jean-Pierre MORIZOT
Sous-bois
clair d’une Réserve Biologique Dirigée du
massif de Fontainebleau.
© Xavier HOUARD - Opie
Prairies
inondables dans la vallée du Rhodon (Yvelines). ©
Alexandre MARI
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Plus
du tiers des papillons de jour menacé ou disparu
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Les
chiffres clés de cet état des lieux
L’analyse
du risque d’extinction des 123 espèces de papillons
de jour connues en Île-de-France, et pour lesquelles la
méthodologie est applicable, montre que 33 d’entre
elles, soit 27 %, sont menacées [CR - EN - VU]. Parmi celles-ci,
l’évaluation fait apparaître que 10 encourent
un risque majeur d’extinction régionale dans les
prochaines années [CR], 11 espèces sont En danger
[EN] et 12 sont Vulnérables [VU]. Par ailleurs,
18 espèces sont considérées comme déjà
éteintes en Île-de-France [RE]. Cela signifie qu’elles
n’ont pas été revues depuis 1994, voire bien
avant pour certaines, malgré une prospection jugée
suffisante pour détecter leur présence. Dix autres
se révèlent Quasi menacées [NT],
ce qui signifie qu’elles doivent faire l’objet d’une
attention particulière, faute de quoi elles pourraient
rejoindre la liste des espèces menacées lors de
la prochaine évaluation. Cette attention doit également
porter sur les 10 espèces classées en Données
insuffisantes [DD] car elles pourraient, elles aussi, être
soumises à un degré de menace important, mais l’état
actuel des connaissances régionales demeure insuffisant
pour l’évaluer.
Au
total, seules 52 espèces - moins de la moitié de
la faune régionale des papillons de jour - peuvent être
considérées en Préoccupation mineure
[LC] en Île-de-France. Pour toutes les autres, la mise en
place d’actions d’amélioration des connaissances
et/ou de conservation s’avère nécessaire au
vu de cette évaluation.
Comparaison
avec les régions voisines
Les
cinq régions limitrophes de l’Île-de-France
disposent d’une liste d’espèces menacées.
Parmi elles, la Bourgogne et la Haute-Normandie ont une Liste
rouge respectant la démarche et les critères de
l’UICN, ce qui permet une comparaison relativement objective.
Le Centre et la Picardie n’ont pas suivi strictement la
méthodologie de l’UICN, mais les catégories
sont les mêmes, rendant certaines comparaisons possibles.
La liste de Champagne-Ardenne ne distingue pas les différentes
catégories de menace et n’est donc pas intégrée
à la comparaison.
La Figure 13 montre une répartition des statuts relativement
équivalente entre l’Îlede-France et les régions
voisines. Cependant, on peut observer une légère
tendance à un plus haut niveau de menace. En effet, l’Île-de-France
montre moins d’espèces Non menacées
[LC], Quasi menacées [NT] ou Vulnérables
[VU] que les régions limitrophes. Inversement, il y a plus
d’espèces avec un haut niveau de menace [EN] ou [CR]
ou même déjà Régionalement éteintes
[RE].
Ceci
démontre globalement que, pour cette partie de la France,
les menaces qui s’appliquent sur les papillons et leurs
milieux sont relativement comparables d’une région
à l’autre. Cependant, la différence observée
semble indiquer que ces menaces sont de plus forte intensité
en Île-de-France, probablement en lien avec le contexte
très artificialisé et fragmenté de la région.
Ce constat montre l’urgence d’agir pour limiter l’impact
de cette menace. En effet, même des espèces réputées
moins sensibles et bénéficiant de conditions
encore satisfaisantes dans les régions limitrophes pourraient
devenir menacées dans la nôtre, si rien n’est
entrepris pour améliorer rapidement la qualité des
milieux ouverts franciliens.
Enfin,
il faut noter qu’il y a, en Île-de-France, un peu
plus d’espèces en Données insuffisantes
[DD] que dans les régions limitrophes. Ceci doit
inciter les pouvoirs publics à soutenir les lépidoptéristes
franciliens pour qu’ils poursuivent leur dynamique d’amélioration
des connaissances afin que ces espèces puissent être
évaluées lors du prochain exercice.
Des
responsabilités régionales face au contexte européen
et national
En
Europe - périmètre des 17 pays membres au moment
de l’évaluation -, il existe 421 espèces de
Rhopalocères, parmi lesquelles 30 sont considérées
comme menacées par la Liste rouge européenne. Ces
chiffres, ainsi que la comparaison qui va suivre, n’intègrent
pas les Zygènes car elles n’ont pas été
évaluées.
Cinq
espèces de la liste francilienne sont menacées en
Europe. Ainsi, l’Azuré du Serpolet (Maculinea
arion), éteint en Île-de-France, est En
danger [EN] en Europe. Les quatre autres espèces sont
classées Vulnérables [VU] sur la liste
européenne : la Mélibée (Coenonympha
hero) et la Bacchante (Lopinga achine), Régionalement
éteintes [RE] en Île-de-France, l’Hespérie
des Cirses (Pyrgus cirsii), En danger [EN],
et la Grande Tortue (Nymphalis polychloros), Non
menacée [LC] en Île-de-France.
Par
ailleurs, 13 espèces franciliennes sont Quasi menacées
[NT] en Europe. Parmi elles, on retrouve notamment 4 espèces
Régionalement éteintes [RE] en Île-de-France
: le Cuivré écarlate – Lycaena hippothoe,
l’Azuré des Mouillères – Maculinea
alcon, le Chiffre – Argynnis niobe, l’Hermite
– Chazara briseis ; 4 En danger critique
[CR] : l’Hespérie de l’Alchemille – Pyrgus
serratulae, le Grand Sylvain – Limenitis populi,
le Damier noir – Melitaea diamina, le Faune –
Hipparchia statilinus ; et 1 espèce Vulnérable
[VU] : l’Hespérie du Chiendent – Thymelicus
acteon. Toutes les autres espèces franciliennes sont
considérées en Préoccupation mineure
[LC] en Europe.
En
France, la Liste rouge des Rhopalocères a classé
4 des espèces franciliennes comme menacées et celles-ci
sont toutes Régionalement éteintes [RE]
en Île-de-France. Sept autres espèces sont Quasi
menacées [NT] en France ; elles sont toutes menacées
ou disparues dans notre région.
Ainsi,
la plupart des Rhopalocères menacés et quasi menacés
en Île-de-France ont été jugés moins
sévèrement aux échelles nationale et européenne.
Ce constat semble assez logique car plus le territoire évalué
est petit, plus les populations concernées sont réduites
et/ou concentrées et, de fait, plus sensibles aux différentes
menaces. Cependant, ce décalage est également révélateur
des perturbations importantes qui touchent l’Île-de-France
et des enjeux qui en découlent en matière de conservation
de la biodiversité. Afin de mieux affiner l’effet
de ces perturbations localisées, il est indispensable de
comparer la situation francilienne avec celle des régions
limitrophes, qui détaillent des menaces à une échelle
équivalente. On retrouve là tout l’intérêt
des Listes rouges régionales, qui permettent la prise en
compte de facteurs et acteurs locaux afin d’agir plus efficacement.
Dans
bien des cas, les papillons menacés en Île-de-France
trouvent des milieux naturels moins dégradés dans
les autres régions françaises, où leurs populations
semblent se maintenir dans un état de conservation plus
favorable. Cependant, certaines espèces franciliennes sont
considérées comme menacées ou quasi menacées
à l’échelle nationale ou européenne.
Leur présence sur le territoire francilien représente
donc un enjeu particulièrement fort pour la région.
La préservation de leurs populations régionales
participe en effet à la conservation de ces espèces
à plus large échelle.
Que
nous révèlent les espèces dites à
Données insuffisantes ?
La
méthodologie UICN précise que lorsque les informations
disponibles sont considérées comme insuffisantes
pour pouvoir évaluer une espèce, celle-ci est classée
dans la catégorie Données insuffisantes
[DD] dans l’attente de l’acquisition de nouvelles
connaissances. Considérant le fait que cette catégorie
pourrait comprendre des espèces rares ou méconnues
qui seraient classées menacées, si un minimum d’informations
sur l’état de leurs populations était disponible,
il est nécessaire de ne pas négliger les espèces
qui y sont référencées. Elles ne doivent
donc pas être considérées comme non menacées.
Le principe de précaution recommande alors de les traiter
comme des espèces menacées. Par ailleurs, les espèces
de la catégorie Quasi menacées [NT] seraient
à prendre en compte de la même manière pour
éviter qu’elles ne deviennent menacées.
Dix
espèces ont été classées dans cette
catégorie et ont toutes en commun le fait de poser des
problèmes de détermination. Ainsi, il était
difficile, en 2014, de mettre en relation le faible nombre de
données de ces espèces et le type de menace. Parmi
elles, 7 sont des Zygènes, groupe de lépidoptères
plus discrets et moins bien connus par rapport aux Rhopalocères.
Ainsi, ce que relève l’exercice d’évaluation
devra inciter les observateurs à porter une attention supplémentaire
sur ces espèces lors de la recherche puis de la détermination.
Des prospections ciblées sur les localités où
ont été observées ces espèces pourraient
permettre de confirmer l’existence de populations et, le
cas échéant, de mieux les caractériser.
Rassemblement
de deux espèces : l’Azuré commun (Polyommatus
icarus) et l’Azuré bleu céleste (Lysandra
bellargus). Ce dernier a été évalué
Vulnérable [VU], notamment grâce aux données
du STERF qui ont mis en évidence une chute drastique des
populations.
© Benoît FONTAINE |
Le
constat sur les principales menaces et pressions
|
Un
déclin historique dû à l’artificialisation,
l’intensification agricole…
Les
causes profondes du déclin des papillons de jour d’Île-de-France
sont le produit de la société moderne, fruit des
choix socio-économiques du xxe siècle et des deux
guerres mondiales : politiques économiques, aménagement
du territoire et productivisme agricole. L’abandon des
pratiques agropastorales ancestrales, poussé par l’intensification
des pratiques agricoles dites modernes, a conduit inexorablement
à concentrer les moyens de production en délaissant
l’exploitation des terres les moins productives et les
plus difficiles à valoriser économiquement. Au
cours du xxe siècle, comme dans tous les paysages de
plaine de France, le territoire francilien vit donc une mutation
rapide de son tissu économique agricole jusqu’alors
caractérisé par des micro-exploitations familiales
de polyculture et d’élevage extensif.
Après
la 2nde guerre mondiale, cette mutation
s’est accélérée. Le plan Marshall,
mis en place par les États-Unis d’Amérique,
ainsi que la création par l’État français
de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA),
ont apporté des solutions de mécanisation de l’agriculture
puis de fertilisation chimique - nitrates - pour répondre
au défi de nourrir les populations du baby-boom,
tout en suppléant au déficit de main d’oeuvre
agricole provoqué par la réindustrialisation et
la tertiarisation de l’économie. Ainsi, les politiques
de remembrement de la 2nde moitié
du xxe siècle ont atteint leur paroxysme en Île-de-France
dans les années 1970 avec l’avènement de
la politique agricole commune européenne (PAC) : suppression
des haies, des fossés, des mares, des bosquets et de
tout obstacle à l’agrandissement des exploitations.
Les délimitations naturelles entre parcelles se sont
également raréfiées et les paysages autrefois
complexes et diversifiés ont fait place à la monoculture
intensive. Dans la région, la taille moyenne des exploitations
ayant encore augmenté de 26 % entre 2000 et 2010, elle
est actuellement de 112 ha, soit le double de la moyenne nationale.
|
Carte
postale du début du xxe siècle représentant
le pâturage traditionnel sur la commune
de Chelles, en Seine-et-Marne, aujourd’hui en limite de
la petite couronne densément
urbanisée.
Une
culture céréalière aux portes de la zone
urbaine, un horizon typique des paysages franciliens. ©
Xavier HOUARD - Opie
Cartographie
représentant la richesse spécifique communale. Apparaissent
en couleurs chaudes les communes déficitaires en nombre
d’espèces de papillons de jour actuellement recensés
par rapport à la moyenne régionale : 14 espèces.
© Florence MERLET - Opie
Répartition
des régions agricoles selon leur production - origine -
prépondérante et le niveau de dépense en
pesticides par hectare en 2000. Sources : INRA
- Agreste - ministère de l’Agriculture
Zone
de clairière entretenue ouverte au sein d’un secteur
classé en Réserve Biologique Dirigée dans
la forêt domaniale de Fontainebleau, milieu favorable à
la reproduction du Petit Collier argenté (Boloria selene),
évalué comme En danger [EN]. ©
Xavier HOUARD - Opie
La
Mélitée des Centaurées (Melitaea phoebe)
est extrêmement rare en Île-de-France où elle
est en limite nord de son aire de répartition et où
son habitat est fortement fragmenté. Elle a été
évaluée En danger critique d’extinction
[CR]. © Jean-Pierre DELAPRÉ
En
Île-de-France, le Flambé (Iphiclides podalirius)
est une espèce fluctuante difficile à évaluer,
mais la diminution de la qualité de ses lieux de reproduction,
de surcroît peu nombreux, pouvant impacter la pérennité
de l’espèce, il convient de la considérer
comme Quasi menacée [NT]. ©
Jean-Pierre DELAPRÉ
L’Azuré
des Coronilles (Plebejus argyrognomon) aurait dû
être classé En danger [EN] d’après
les seuils de la méthodologie. Cependant, étant
donné que les populations de Bourgogne ne sont pas menacées
et qu’elles alimentent les populations franciliennes, le
degré de menace a été rétrogradé
à Vulnérable [VU]. ©
Alexandre LAINE
L’Amaryllis
(Pyronia tithonus) et le Tabac d’Espagne (Argynnis
paphia), 2 espèces communes en Île-de-France
et considérées comme non menacées [LC]. ©
Lucile DEWULF
Diagramme
présentant la répartition des espèces de
papillons de jour par grands types de végétations
selon leur catégorie de menace évaluée dans
la présente Liste rouge régionale.
© Xavier HOUARD & Florence MERLET - Opie
|
Un
funeste héritage de pratiques et de logiques qui perdurent
!
Avec
1 000 habitants au km², l’Île-de-France demeure
la région la plus urbanisée de l’hexagone.
Cependant, mis à part les départements fortement
urbanisés de la petite couronne, qui concentrent
constructions et populations humaines, le paysage francilien est
avant tout agricole et les zones urbaines ne forment que la 3ème
composante paysagère avec 21 % des surfaces du territoire
régional. Les terres agricoles représentent quant
à elles la première composante paysagère
d’Île-de-France, avec 47 % de la surface du territoire.
Elles sont essentiellement constituées de vastes étendues
cultivées - 90 % -, dévolues à la production
céréalière pour 60 % de leur surface et exploitées
de façon intensive, donc globalement défavorable
à la grande majorité des lépidoptères
diurnes.
Des
milieux agricoles simplifiés et exsangues…
En
Île-de-France, la superficie agricole ne comporte que 12
% de couvert herbacé - bandes enherbées, prairies
de fauche, pâtures, jachères, friches agricoles…
-, alors qu’il en faudrait 20 %, soit presque 2 fois plus,
pour atteindre le seuil critique nécessaire au maintien
d’une biodiversité fonctionnelle. Ce type d’espaces
constitue précisément les habitats préférentiels
des papillons de jour. Au sein des milieux agricoles, nous pourrons
donc distinguer le cortège d’espèces des cultures
et friches et celui des prairies, qu’elles soient humides
ou sèches, entretenues ou embroussaillées.
Ce
manque de milieux herbacés est particulièrement
marqué sur les communes majoritairement agricoles, notamment
dans les paysages de la Brie et de la Beauce. Sur ces territoires
- plus de 40 % des communes d’Île-de-France -, la
proportion de milieux herbacés tombe à 7 %, soit
près de 3 fois moins que le seuil considéré
comme écologiquement fonctionnel. De plus, ce calcul ne
tient pas compte du type de gestion de ces espaces herbacés.
La majorité est en effet fréquemment amendée,
retournée, sur-semée en ray-grass et/ou
fauchée de manière trop précoce pour être
favorable aux insectes phytophages et en particulier aux lépidoptères
diurnes. La carte mettant en exergue la richesse communale en
espèces de papillons de jour par rapport à la moyenne
régionale illustre clairement l’effet de ce phénomène
sur la diversité des papillons de jour.
Au-delà
de la proportion de milieux herbacés, la présence
de fossés, d’arbres isolés, de haies traditionnelles
d’Aubépines et de Pruneliers est capitale pour maintenir
une structure paysagère favorable à la diversité
des papillons de jour. Ces deux arbustes, autrefois communs pour
délimiter les parcelles agricoles, sont les plantes hôtes
d’un certain nombre d’espèces typiques des
milieux semi-ouverts et qui sont désormais considérées
comme disparues, menacées ou quasi menacées régionalement.
On peut notamment citer le Gazé (Aporia crataegi)
[RE], la Thécla du Prunier (Satyrium pruni) [VU]
et le Flambé (Iphiclides podalirius) [NT]. Les
données de la base ÉCOLINE, pilotée par Natureparif
et l’Institut
d’aménagement et d’urbanisme
d'Île-de-France (IAU),
ont permis de comptabiliser 3 150 km de haies en milieu agricole,
soit en moyenne 5 mètres de haies par hectare. Il s’agit
pour l’essentiel de haies arborescentes ou haies basses
de jeunes ligneux. À titre de comparaison, cette densité
est 10 fois moindre que la densité moyenne de haies du
paysage de la Puisaye située dans l’Yonne voisine.
Selon l’atlas des papillons de jour de Bourgogne et Franche-Comté,
les communes de la Puisaye comptent d’ailleurs une richesse
spécifique maximale avoisinant les 45 espèces recensées.
Pour les communes les mieux conservées de la Brie et de
la Beauce francilienne, notre base de référence
nous donne une richesse spécifique avoisinant les 14 espèces,
soit environ trois fois moins.
La
charge massive des pesticides
Les
terres agricoles d’Île-de-France sont certes réputées
parmi les plus rentables de la planète, mais à quel
prix ? Celui de la mécanisation et de la chimie…
Car aux atteintes physiques détruisant les habitats des
papillons de jour - arrachage de haie, drainage, labours profonds,
cycles courts… -, il convient d’ajouter l’utilisation
massive des pesticides dans les espaces à vocation agricole.
En effet, l’Île-de-France fait partie des régions
métropolitaines les plus consommatrices de pesticides.
Malgré la promulgation ministérielle de programmes
tels que le plan Écophyto, visant à leur
réduction tant en nombre de molécules disponibles
qu’en volumes épandus à l’hectare, les
herbicides et les insecticides sont toujours abondamment utilisés.
Chaque année ce sont 1 200 tonnes de substances actives
qui sont épandues en Île-de-France. Les espaces agricoles,
jadis zones foisonnantes en espèces, sont devenus impropres
au développement des papillons et fonctionnent désormais
comme des barrières ou des puits. Les
populations de papillons s’épuisent à trouver
des habitats favorables à leur reproduction où leurs
plantes hôtes épargnées par l’artificialisation
sont désormais contaminées par des pesticides rémanents.
Les herbicides font disparaître la diversité floristique
spontanée des espaces agricoles, où la moitié
du cortège des plantes des moissons apparaît comme
menacée ou disparue, induisant une perte nette de ressources
pour les papillons. Ainsi, les plantes hôtes nécessaires
à la ponte et au développement des chenilles sont
détruites. Les capitules fleuris qui offrent leur nectar
aux papillons adultes ont disparu. Les agrosystèmes franciliens
sont extrêmement simplifiés, jusque dans la composition
floristique des plantes compagnes des cultures. Ainsi, Folle avoine,
Pâturins, Jouet du vent, Carotte sauvage, Plantains, Oseilles,
Chardons, Orties, Violette des champs, Vesces, Ravenelles…
sont éradiquées des parcelles cultivées.
Elles sont considérées comme des mauvaises herbes
déclarées adventices ou concurrentes des cultures,
alors qu’elles sont toutes des plantes hôtes de chenilles,
de ce fait indispensables au développement d’une
grande majorité d’espèces de papillons de
jour. C’est tout le cortège de nos campagnes des
papillons dits communs qui désormais se raréfie.
Les papillons ne disposent alors plus d’énergie pour
se reproduire et se disperser au sein des paysages fragmentés.
L’effet des insecticides est, quant à lui, beaucoup
plus direct. Comme leur nom l’indique, ils s’attaquent
sans distinction à tous les insectes et selon leur mode
d’application ils atteignent les papillons adultes comme
les chenilles.
Les
secteurs agricoles ne sont pas les seuls à être touchés
par les pesticides : les zones urbaines sont aussi concernées.
Les jardiniers amateurs sont en effet les premiers consommateurs
de produits chimiques appliqués à l’hectare
et représentent 47,5 % de la contribution à l’épandage
de pesticides en milieu urbain, contre 27 % par les collectivités.
La part des collectivités dans l’apport des pesticides
tend d’ailleurs à diminuer, en raison de la transition
vers l’objectif zéro pesticide. Depuis
le 1er janvier 2017, il est en effet interdit aux gestionnaires
publics d'utiliser des produits phytosanitaires et biocides issus
de la chimie de synthèse pour l'entretien des voiries,
des espaces verts ainsi que des forêts et promenades accessibles
ou ouverts au public : Loi Labbé renforcée par la
loi de transition énergétique.
Une
étude publiée en mai 2016 par Airparif - Réseau
de surveillance de la qualité de l’air en Île-de-France
-, dévoile qu’il y a autant de pesticides dans l’air
urbain que rural, avec une plus grande proportion d’insecticides/acaricides
dans la ville, cœur de l’agglomération parisienne.
Certains composés retrouvés étant par ailleurs
interdits depuis plusieurs années, il est supposé
que leur présence dans l’air est le témoin
d’un long stockage des produits chez les particuliers, qui
continuent ainsi de les utiliser malgré les interdictions
à la vente. Sans l’utilisation de ces produits, il
va sans dire que le potentiel d’accueil de la ville pourrait
augmenter en faveur des insectes et notamment des papillons, d’autant
plus avec l’interdiction de la vente de pesticides aux particuliers
qui entrera en vigueur au 1er janvier 2019.
Des
prairies humides sacrifiées à la densification urbaine
et à l’intensification agricole
Les
végétations des zones humides - mégaphorbiaies,
prairies humides, bas-marais et tourbières - ne sont pas
les habitats les plus riches en papillons de jour. Pour autant,
elles recèlent des enjeux de conservation uniques à
travers la présence d’espèces très
spécialisées telles que le Cuivré des marais
(Lycaena dispar) [EN], le Demi-argus (Cyaniris semiargus)
[EN] ou encore la Zygène des prés (Zygaena trifolii)
[DD]. À l’image de la moyenne nationale, les zones
humides franciliennes ont perdu 50 % de leur surface au cours
de la seconde moitié du siècle dernier, ne représentant
désormais plus que 2 % du territoire régional. Celles
qui perdurent sont désormais fréquemment réduites
à de simples étendues d’eau artificialisées.
L’agriculture intensive est la principale consommatrice
de surface de milieux humides par drainage de zones marécageuses,
notamment le long des cours d’eau qui voient généralement
les cultures s’étendre jusqu’au bord du lit
mineur. Dans le meilleur des cas, la surface enherbée est
limitée à une modeste bande de 5 mètres de
large qui sert de zone tampon avant le milieu aquatique,
accumulant engrais et pesticides. L’urbanisation et la construction
d’infrastructures se sont également fréquemment
développées au détriment des prairies humides.
Les surfaces allouées à l’élevage ont
aussi suivi un déclin continu. L’élevage en
Île-de-France, autrefois support de la richesse en papillons
de jour, ne représente aujourd’hui que 0,15 % du
cheptel national. En cela, l’agriculture francilienne est
assez semblable à celle de la plupart des départements
limitrophes : Eure-et-Loir, Loiret, Oise, Marne ou Aube. Cependant,
elle diffère nettement de l’agriculture bourguignonne
ou des bocages normands, au sein desquels l’élevage
tient toujours une place plus importante. Ce contexte biogéographique
explique que les vallées de l’Epte et du Loing agissent
encore comme des corridors plus ou moins fonctionnels,
maintenant sous perfusion les populations de certaines espèces
telles le Cuivré fuligineux (Lycaena tityrus)
[VU] ou la Lucine (Hamearis lucina) [VU]. Ainsi, les
milieux herbacés deviennent de plus en plus rares : les
prairies permanentes ne représentent désormais que
4 % de la surface agricole utile régionale.
Des
milieux forestiers contrastés assurant encore un rôle
de réservoir biologique
Avec
23 % de sa surface occupée par les milieux forestiers,
l’Île-de-France se situe légèrement
en dessous de la moyenne nationale : 29 %. Cependant, grâce
la présence historique des deux grands massifs que sont
Fontainebleau et Rambouillet, celle-ci est mieux dotée
que la majorité des régions du quart nord-ouest
de la France. Du fait de leur héliophilie - attirance pour
le soleil -, peu de papillons de jour sont véritablement
forestiers. Seules quelques espèces sciaphiles - aimant
l’ombre - et ayant pour plantes-hôtes des espèces
caractéristiques des sous-bois peuvent être considérées
comme typiquement forestières. Citons à titre d’exemple
le petit Sylvain (Limenitis camilla) [LC] et le Tabac
d’Espagne (Argynnis paphia) [LC] qui ne sont pas
menacés et se développent respectivement sur le
Chèvrefeuille (Lonicera periclymenum) et la Violette
des bois (Viola reichenbachiana).
En Île-de-France, la superficie des forêts évolue
peu désormais. La politique régionale a en effet
favorisé les milieux forestiers, notamment par une protection
juridique forte dans les documents d’urbanisme, via les
Espaces Boisés Classés, et une stratégie
d’urbanisation des collectivités qui s’est
faite aux dépens des surfaces agricoles, des friches et
des zones humides alluviales. Cet objectif de préservation
des forêts franciliennes se retrouve également, plus
récemment, à travers le Schéma régional
de cohérence écologique, au sein duquel 73 % de
la forêt francilienne est classée dans un réservoir
de biodiversité.
Malgré
la faible attractivité des milieux forestiers pour les
papillons de jour, les forêts franciliennes, et notamment
celles de Fontainebleau et de Rambouillet, accueillent une richesse
et un degré de patrimonialité sans égal.
À eux seuls, ces deux grands réservoirs
de biodiversité accueillent 102 espèces de papillons
de jour, soit 75 % de la faune régionale des Rhopalocères
et Zygènes. Ceci est premièrement dû à
leur surface imposante, mais surtout à la présence
en leur sein d’innombrables zones ouvertes de landes et
de prairies sèches et humides. Les massifs forestiers franciliens
jouent le rôle de refuges et les habitats de milieux
ouverts qu’ils conservent témoignent de la richesse
passée du territoire rural.
Cependant, malgré ces rôles de refuge et de réservoir
largement avérés dans les grands massifs, les forêts
franciliennes demeurent des forêts de production sylvicole
et peuvent révéler des situations contrastées.
En zones forestières, les enjeux liés à la
préservation des papillons résident donc dans la
conduite raisonnée de la gestion sylvicole visant à
respecter des cycles de production plus longs, un faciès
irrégulier, un sous-étage fourni et riche en essences
spontanées - saules, frênes, ormes, tilleuls, peupliers,
prunelliers… - et des lisières graduées assurant
une connectivité avec des parcelles maintenues en milieux
ouverts. Certains papillons de jour caractéristiques de
ce type de gestion forestière ont déjà disparu
des massifs franciliens tels que le Chiffre (Argynnis niobe)
[RE] et la Bacchante (Lopinga achine) [RE]. D’autres,
affiliés à
ce même cortège, résistent encore dans d’ultimes
bastions isolés. C’est notamment le cas à
Fontainebleau pour deux espèces de Nacrés morphologiquement
très proches : le Petit Collier argenté (Boloria
selene) et le Grand Collier argenté (Boloria euphrosyne),
toutes deux évaluées comme En danger [EN]
dans cette Liste rouge régionale.
Enfin,
la plus lourde des modifications de boisements s’est opérée
au coeur des vallées franciliennes, le long des cours d’eau,
avec l’exploitation de nombreuses forêts alluviales
puis la conversion rapide des parcelles en populiculture - plantation
de peupliers - conduites de manière intensive : plantation
dense d’espèces allochtones ou hybrides très
productives. C’est principalement pour ces raisons, liées
à la destruction directe de leur habitat, que le Morio
(Nymphalis antiopa) et le grand Sylvain (Limenitis
populi) ont été respectivement évalués
comme En danger [EN] et En danger critique [CR]
d’extinction dans cette Liste rouge. Localement, la populiculture
est également menée pour valoriser certaines prairies
humides ou inondables abandonnées par l’élevage.
De la même façon, cette pratique correspond à
une dégradation lourde des habitats de prairies humides.
Les
pelouses sèches et les prairies mésophiles : derniers
paradis des papillons !
Les
végétations prairiales et
pelousaires et, dans une moindre mesure, les franges herbacées
des lisières forestières concentrent à la
fois les plus grandes richesses en espèces de papillons
de jour et les plus hauts niveaux d’espèces menacées.
La dénomination générique de végétations
des prairies mésophiles et des pelouses, reprise du
guide des végétations remarquables de la région
Île-de-France, cache deux habitats exceptionnels pour la
diversité et la patrimonialité des papillons de
jour franciliens. Il s’agit premièrement des pelouses
calcicoles mésophiles à xérophiles et
deuxièmement des pelouses vivaces acidiphiles
et des pelouses sur sables. Qu’elles soient acidiphiles
ou calcicoles, qu’elles se développent sur sable,
marne ou craie, ces formations végétales ont en
commun leur petite taille, des conditions stationnelles relativement
xéro-thermophiles et une richesse floristique très
élevée. Historiquement maintenus ouverts par le
pâturage, ces habitats ont été abandonnés
avec l’arrêt du pastoralisme traditionnel et se sont
progressivement refermés par la colonisation spontanée
de broussailles, d’arbustes puis de jeunes arbres. Les surfaces
de ces pelouses ont déjà été divisées
par deux dans la seconde moitié du xxe siècle. Ces
formations sont désormais isolées et extrêmement
fragmentées en Île-de-France. Elles se retrouvent
localement dans le Val-d’Oise, sur les coteaux et les terrasses
de la vallée de la Seine, dans le Sud de l’Essonne,
en Bassée et au sein du massif de Fontainebleau. Il apparaît
désormais illusoire de pouvoir recréer des connexions
écologiques entre ces différents secteurs, véritables
points chauds de la diversité en lépidoptères
diurnes. Les enjeux de conservation résident donc dans
le maintien de l’ouverture de ces habitats en adaptant des
modalités de gestion qui prennent en compte les exigences
écologiques des espèces les plus sensibles.
Les
dérèglements climatiques changent la donne…
L’augmentation
du régime des précipitations observées en
Île-de-France depuis la seconde moitié du xxe siècle
et l’augmentation des températures moyennes, notamment
en hiver, provoque ce que les écologues et climatologues
appellent prudemment et de façon discutable l’atlantisation
du climat. Ainsi, pour schématiser ce phénomène
complexe, les répétitions de plus en plus fréquentes
d’hivers doux et humides, au cours de la fin du siècle
dernier, ont vraisemblablement provoqué des extinctions
locales d’espèces dites continentales ou
boréo-alpines : La Mélibée - Coenonympha
hero [RE] ; l’OEdipe - Coenonympha oedippus
[RE] ; le Moiré franconien - Erebia medusa [RE]),
sans pour autant dynamiser les populations d’espèces
xéro-thermophiles. Du fait de l’extrême fragmentation
de leurs habitats, les petites populations de ces espèces
aux écologies pourtant opposées s’avèrent
tout aussi fragilisées. Les espèces dites de faune
froide ou d’affinité nordique sont touchées
par le manque de jours de gel - le Grand Sylvain - Limenitis
populi [CR]) et les espèces xéro-thermophiles
: la Mélitée des centaurées - Melitaea
phoebe [CR]) peuvent subir des années déficitaires
en nombre de jours ensoleillés. A contrario, les incursions
régionales d’espèces considérées
comme des banalités méridionales : l’Azuré
porte-queue - Lampides boeticus [LC] ; la Silène
- Brintesia circe [LC]) qui paraissent facilement dues
au réchauffement global, ont toujours existé. |
Liste
des rhopalocères et zygènes par catégorie
de menace |
|
Les
principes d'évaluation de l'UICN
La
Liste rouge, selon la méthodologie de l’Union internationale
pour la conservation de la nature (UICN), mesure un risque - une
probabilité - d’extinction des taxons au
niveau mondial, ou un risque de disparition au niveau
régional.
Une
évaluation standardisée
Le
principe de l’établissement d’une Liste rouge
régionale est une démarche en deux étapes
:
-
1.
Application des critères aux populations régionales
comme s’il s’agissait des populations mondiales
;
-
2.
Ajustement des statuts en fonction de l’influence des
populations extrarégionales.
Cette influence est basée sur : le statut de ces populations,
leur dynamique et les migrations ou échanges de populations
potentiels. Nous disposons de Listes rouges ou d’atlas
récents des cinq régions limitrophes.
L’avis
des experts repose avant tout sur les analyses effectuées
par l’Opie afin de pouvoir répondre aux critères
de l’UICN. Les déductions et prévisions peuvent
être acceptées si elles sont bien étayées.
L'évaluation doit avant tout être objective, plutôt
que reposer a priori sur un principe de précaution. Si
une approche de précaution est appliquée vis-à-vis
de l’incertitude dans les données, elle doit rester
réaliste et être argumentée.
Catégories
de menace attribuées par la Liste rouge (sources
: UICN)
Les acronymes standards correspondent à la dénomination
des
catégories en anglais :
RE = Regionally Extinct, CR = Critically Endangered, EN = Endangered,
VU = Vulnerable, NT = Near Threatened, LC = Least Concerned,
DD = Data Deficient, NA = Not Applicable, NE = Not Evaluated.
La méthodologie appliquée aux Rhopalocères
et Zygènes
Référentiel
Le niveau taxinomique d’évaluation est l’espèce.
La liste d’espèces régionales utilisée
suit la nomenclature du référentiel TAXREF v7.0
de l’Inventaire national du patrimoine naturel (INPN), mis
à jour et coordonné par le Muséum national
d’Histoire naturelle (MNHN). Elle a été établie
via l'analyse de la bibliographie régionale de l’Opie
dans le cadre du programme d’Observatoire francilien des
insectes. Les données recueillies dans le cadre de ce programme,
soutenu par la Région et la DRIEE, ont permis la constitution
d’une base de données régionale opérationnelle
qui permet désormais la prise en compte de ces insectes
dans la mise en œuvre d’actions concrètes de
conservation.
Les données compilées, formatées et validées
par l’Opie dans le cadre de ce travail sont disponibles
à tous publics à travers la base de données
Cettia, développée par Thierry Roy et Seine-et-Marne
Environnement, puis déployée au niveau régional
et animée par Natureparif. Ces données ont également
vocation à rejoindre l’INPN.
La
base de données de l’Observatoire francilien des
insectes contenait au moment de l’évaluation 100
439 données de Rhopalocères et Zygènes. Parmi
celles-ci, 97 071 sont rattachées à la période
1994-2014.
|
|
Origine
des données
utilisées lors
de l'évaluation
(source : Opie-Natureparif)
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Liste
rouge des papillons de jour d’Île-de-France
Remerciements
:
Un tel travail de synthèse n’aurait pu être
mené à bien sans la participation de nombreuses
personnes, qui ont œuvré, directement ou indirectement,
pour que cette Liste rouge voit le jour :
les 472 contributeurs de la connaissance francilienne.
En premier lieu, c’est le réseau d’observateurs
qui doit être remercié. Ce sont eux - lépidoptéristes,
naturalistes amateurs et
professionnels, associations... - qui produisent la connaissance
nécessaire pour une évaluation objective
: merci à eux. Au début des années
1980, suite aux publications de Roland Essayan, plusieurs
lépidoptéristes franciliens se sont regroupés
à l’Opie sous l’appellation du GILIF
- Groupe pour l’inventaire des lépidoptères
d’Île-de-France - pour regrouper leurs données
et
échanger sur leurs observations. Sous l’impulsion
de Philippe Mothiron, fondateur et administrateur du site
internet lepinet.fr, ces pionniers du partage de la connaissance
entomologique
ont scellé les bases de ce travail. Nous leur adressons
nos plus respectueuses salutations et nos plus vifs remerciements.
|
LISTE
ROUGE RÉGIONALE
DES RHOPALOCÈRES
ET ZYGÈNES
D’ÎLE-DE-FRANCE |
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Directeur de publication : Bruno MILLIENNE, Natureparif
Coordination : Julie COLLOMBAT DUBOIS, Natureparif
Coordination éditoriale : Ophélie RICCI
et Lucile DEWULF, Natureparif
Recueil,
traitement, analyse et mise en forme des données
:
Travail collectif de l’Opie : Alexis BORGES, Camille
FOSSIER, Xavier HOUARD, Florence MERLET & Annabelle
SUEUR,
dans le cadre de l’animation du programme d’Observatoire
francilien des insectes.
Partenaires du projet : L’Office pour les
insectes et leur environnement (Opie) et l’Association
des Lépidoptéristes de France (ALF) avec l’appui
technique de Natureparif et le soutien financier du Conseil
régional d’Île-de-France et de la DRIEE
ÎdF
Opie
: insectes.org
Natureparif : natureparif.fr
ALF : lepido-france.fr |
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